Les signaux de ce début 2024 ne sont rassurants ni pour la connaissance scientifique mondiale ni pour son apport au bien commun. Des exemples ? Mercredi 6 mars, soixante-huit Prix Nobel, dont le mathématicien britannique Roger Penrose et le virologue américain Harvey J. Alter, exhortent le gouvernement argentin de Javier Milei à reconsidérer les coupes spectaculaires prévues dans les budgets universitaires et scientifiques. Ces chercheurs de renom soulignent le rôle crucial de la science de ce pays, notamment sur les fléaux planétaires que sont le cancer, le diabète et les maladies cardio-vasculaires.
Une dizaine de jours auparavant, la professeure Nitasha Kaul, spécialiste de science politique à l’université de Westminster, à Londres, annonçait sur X avoir été arrêtée à l’aéroport de Bangalore (Inde) malgré la validité de ses papiers, alors qu’elle venait donner une conférence les 24 et 25 février. Enfermée vingt-quatre heures dans une cellule « sans accès facile à l’eau ni à la nourriture », précise-t-elle, elle est renvoyée au Royaume-Uni sans explication. Ses travaux portent notamment sur la politique du gouvernement indien au Cachemire. En Inde, surnommée jadis la plus grande démocratie du monde, la purge académique commencée par le gouvernement il y a plus d’une décennie s’accélère.
Apparemment sans lien, ces faits s’inscrivent dans une même tendance alarmante. « La liberté académique est menacée dans le monde entier », souligne un rapport, publié le 7 mars, par une équipe germano-suédoise de chercheurs. Budgets universitaires en berne, restrictions, voire suppressions de certains domaines de recherche, difficultés pour s’exprimer sur des sujets considérés comme sensibles… Leurs travaux, synthétisés dans un indice global dénommé « Academic Freedom Index », estiment que 45,5 % de la population mondiale, soit 3,6 milliards d’individus, vivent dans un environnement dépourvu de liberté académique. Parmi les grands pays en queue de classement se trouvent, sans surprise, la Chine de Xi Jinping, la Russie de Vladimir Poutine et l’Inde de Narendra Modi. Ces données, publiées annuellement, permettent également d’acter le net décrochage des Etats-Unis depuis 2019.
Comme la plupart des pays européens, la France fait partie des bons élèves. Elle a d’ailleurs lancé en 2017 le programme Pause qui a permis d’accueillir près de 550 scientifiques en danger provenant de quarante-trois pays. Telle la chercheuse brésilienne Larissa Mies Bombardi, lauréate 2022 et 2023, venue témoigner, vendredi 29 mars, au Collège de France. Empêchée dans son pays de poursuivre ses travaux sur l’impact des pesticides sur la santé – plus de 670 000 Brésiliennes pourraient avoir été intoxiquées selon elle, cinquante fois plus que les chiffres officiels –, elle a intégré en France l’Institut de recherche pour le développement.
Il vous reste 83.73% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.