La maladie efface parfois le malade, la personne. Or, son ressenti sur ce qu’il vit, son environnement, son entourage, sa famille… sont autant d’éléments qui ne devraient pas être mis de côté par les soignants pour bien le prendre en charge.
Professeure émérite de psychopathologie clinique à Paris-Diderot, psychanalyste, qui a longtemps exercé en cancérologie de l’enfant et hématologie adulte, Danièle Brun livre un témoignage sur la relation entre patient et médecin, à travers sa propre maladie. Son livre, Madame Vertigo et son cancer. Rencontre avec une médecine déshumanisée, est paru en mai chez Odile Jacob, après son décès, le 3 janvier, à l’âge de 84 ans.
Dès le début, la psychanalyste annonce la couleur : « Il est clair que le pouvoir des chiffres, des analyses biologiques et sanguines, couvre et parfois occulte une voix pour dire les tracas, les tourments que nous font vivre certains des médicaments prescrits. » Derrière une médecine de plus en plus sophistiquée, qui a fait d’immenses progrès, avec des traitements de plus en plus ciblés, la parole du patient est parfois oubliée, les effets indésirables occultés. On voit parfois des cancers régresser, mais l’état général de la personne se dégrader profondément, sans qu’elle n’ait été forcément avertie.
Sortir du silence
Danièle Brun incite le lecteur à « oser s’approprier son corps et ses sensations », en devenant « partenaire de ses traitements ». Avec des mots justes, elle rapporte les difficultés des patients à parler des effets « dits secondaires ou latéraux » des traitements. Face à cette médecine qu’elle qualifie de « brutale », elle décide de créer un personnage, « Madame Vertigo », sorte de voix intérieure, une souffleuse. « Ce personnage est une partie de moi-même tenue jusque-là au silence, que le traitement rend progressivement présente. »
Le constat est rude : « Aujourd’hui, en médecine, la déshumanisation règne presque partout. » Combien de mots maladroits, « inacceptables », ne prenant pas en compte l’humain, restent gravés comme des blessures. Alors qu’elle décide elle-même de réduire la dose d’anticoagulants qui provoquent des bleus quasi spontanés, elle se souvient des paroles abruptes de soignants : « Vous allez faire un AVC, Mme Brun. Vous avez envie d’avoir la moitié de votre cerveau en moins ? »
Elle raconte aussi « la difficulté de parler de soi et de son corps malade » car, pour beaucoup, l’autorité médicale ne doit pas être discutée. Dans une conférence sur cet ouvrage, qui s’est tenue le 7 juin à l’Institut Imagine, à Paris, Didier Sicard, ancien président du Comité national consultatif d’éthique, souligne que ce livre « aborde le malentendu croissant entre une médecine qui a largué les amarres de l’écoute et de l’entendement et la révolte du corps, certes soucieux de guérir, mais pas à n’importe quel prix ». Pour Michèle Lévy-Soussan, responsable de l’unité mobile de soins palliatifs à la Pitié-Salpêtrière, Danièle Brun s’est « heurtée à une médecine qui n’est qu’une manifestation peut-être de nos sociétés d’aujourd’hui, dans une forme de répulsion vis-à-vis du risque ».
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