
En décembre 2022, le recrutement du Portugais Cristiano Ronaldo par le club d’Al-Nassr (Ryad), l’un des meilleurs d’Arabie saoudite, pour un contrat estimé à 400 millions d’euros pour deux ans, laissait supposer que le champion d’Europe 2016 ne serait pas la seule star à s’exiler dans le royaume. Peu de monde s’attendait cependant à l’ampleur de l’offensive saoudienne lors de ce mercato estival. Plusieurs grands noms du football mondial ont succombé aux salaires faramineux proposés par ces formations aux moyens quasi illimités. L’offre d’Al-Hilal (Ryad) pour recruter l’attaquant français Kylian Mbappé, comprenant une indemnité de transfert de 300 millions d’euros pour le Paris-Saint-Germain et un salaire annuel de 700 millions d’euros pour le buteur – qui ne devrait toutefois pas donner suite –, en atteste.
Certains joueurs ont repoussé les avances saoudiennes. L’Argentin Lionel Messi a préféré l’Inter Miami à Al-Hilal, l’Egyptien Mohamed Salah est resté fidèle à Liverpool et le Gabonais Pierre-Emerick Aubameyang est passé de Chelsea à Marseille. Mais d’autres footballeurs africains de renommée internationale ont quitté l’Europe bien plus tôt qu’ils ne l’avaient prévu. Ainsi, les Sénégalais Edouard Mendy et Kalidou Koulibaly ont quitté Chelsea et rejoint les clubs d’Al-Ahli (Djeddah) et d’Al-Hilal pour des salaires annuels de 14 millions et 25 millions d’euros. L’Ivoirien Seko Fofana, débauché du RC Lens – avec qui il s’apprêtait à disputer la Ligue des champions –, a accepté l’offre d’Al-Nassr, où il gagnera environ 15 millions d’euros par an, soit sept fois plus qu’en France.
La liste est appelée à s’allonger d’ici à la fin du mercato, le 1er septembre. Al-Nassr, qui souhaite associer le Sénégalais Sadio Mané à Cristiano Ronaldo, lui a offert 40 millions d’euros nets par an, alors qu’il gagne 20 millions d’euros bruts au Bayern Munich. Le champion d’Afrique 2022, selon nos informations, étudie de très près cette proposition. L’Algérien Riyad Mahrez (Manchester City), capitaine des Fennecs, est quant à lui sur le point de répondre favorablement à l’offre d’Al-Ahli, qui lui propose 86 millions d’euros sur deux saisons, alors que le Marocain Hakim Ziyech pourrait également quitter Chelsea.
« Soft power »
La spectaculaire offensive des clubs saoudiens sur le football européen est facilitée par les moyens mis à leur disposition par l’Etat, principalement en faveur des plus puissants (Al-Ahli, Al-Nassr, Al-Hilal et Al-Ittihad, à Djeddah). « Les joueurs africains sont particulièrement ciblés par les clubs saoudiens. Ce qui se passe actuellement répond à la stratégie de Mohammed Ben Salmane, le prince héritier, qui veut utiliser le sport, et notamment le football, comme un levier de soft power. L’Arabie saoudite a fait de l’Afrique une de ses zones d’influence. Attirer des footballeurs africains, surtout s’ils sont connus, n’est donc pas un hasard », explique Jean-Baptiste Guégan, enseignant, consultant et auteur de Géopolitique du sport, une autre explication du monde.
Mais le royaume saoudien ne mise pas que sur les aspects financiers pour convaincre les joueurs africains de disputer la Saudi Pro League, qu’il veut hisser parmi les dix meilleures du monde. « La culture et la religion sont mises en avant. Après avoir signé à Al-Ittihad, Karim Benzema avait expliqué qu’en tant que musulman, c’était important pour lui d’être dans un pays musulman, d’être proche de La Mecque. Il y a des joueurs africains de confession musulmane qui peuvent également être sensibles à cet aspect », poursuit Jean-Baptiste Guégan.
Un argument partiellement recevable pour Stéphane Canard, le président de l’Union des agents sportifs français (UASF) : « La religion relève de la sphère privée, je ne veux donc pas en parler. Il me semble évident que la motivation première est financière. Quitter de grands clubs européens pour le championnat saoudien n’est pas, à mes yeux, une progression sportive. » En effet, le championnat saoudien, même s’il est aujourd’hui l’un des trois meilleurs d’Asie – avec ceux du Japon et de Corée du Sud –, est encore loin du niveau des meilleures ligues européennes.
Salaires impayés
L’ancien international sénégalais Ferdinand Coly estime cependant que l’exil saoudien de certains de ses compatriotes ne sera pas préjudiciable aux Lions de la Teranga, « au moins à court terme ». « Il y a une CAN [Coupe d’Afrique des nations] en 2024 en Côte d’Ivoire, et même si certains de nos meilleurs éléments, qui ont clairement fait un choix financier, évoluent en Arabie saoudite, ils seront compétitifs, veut croire l’ex-défenseur de Lens et Parme. Mais après ? Il y aura les qualifications pour la Coupe du monde 2026, on parle de joueurs qui ont dépassé les 30 ans, et le niveau en Angleterre ou en Allemagne est largement supérieur au championnat d’Arabie saoudite. Ce sera au sélectionneur de prendre ses responsabilités si des internationaux se montrent moins performants en Arabie saoudite. »
Stéphane Canard met également en garde les joueurs dont le statut n’est pas comparable à celui des stars recrutées par les clubs saoudiens, face aux risques de retards de salaires : « Il y a une énorme inflation des salaires et des joueurs moyens vont en profiter. Mais si Benzema ou Koulibaly seront payés en temps et en heure, parce que les Saoudiens, pour des raisons d’image, ne peuvent pas faire autrement, j’invite les autres, beaucoup moins connus et donc moins rémunérés, à être attentifs. » Les exemples de joueurs saisissant la Fédération internationale de football (FIFA) pour des salaires impayés dans le golfe Persique sont en effet fréquents.