Au Festival international de journalisme de Couthures, « le rugby a-t-il perdu son âme ? »

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Pendant la conférence « A quoi sert l’intelligence artificielle ? », à Couthures-sur-Garonne, vendredi 14 juillet 2023.

S’interroger sur notre rapport aux médias et à l’information en faisant un pas de côté. C’est le programme du Festival international de journalisme, organisé par le groupe Le Monde (Le Monde, Courrier international, le HuffPost, Télérama et La Vie) et L’Obs, qui s’est ouvert vendredi 14 juillet et se déroulera jusqu’au 16 juillet dans le village de Couthures-sur-Garonne (Lot-et-Garonne). « Le rugby a-t-il perdu son âme ? » : la question a été choisie, « volontairement provocatrice », pour susciter le débat entre professionnels de l’information et festivaliers, confie Clément Martel, journaliste au Monde, qui a animé les débats au côté de Richard Sénéjoux, de Télérama.

A deux mois de la Coupe du monde de rugby, qui aura lieu en France du 8 septembre au 28 octobre, quoi de plus logique que de s’échauffer tranquillement en réfléchissant à un sport qui s’est longtemps démarqué du football, mais qui est entré à son tour dans une logique de spectacle. Alors que certains matchs auront lieu à Toulouse et à Bordeaux, les deux métropoles les plus proches de Couthures, le sport au ballon ovale figure parmi les sept thèmes qui structurent le programme du festival, aux côtés de la fatigue informationnelle, la place du service public dans le paysage des médias, l’urgence climatique, la guerre en Ukraine, ou encore les conséquences psychologiques de la pandémie de Covid-19.

La première table ronde de l’après-midi sur le rugby, « Le Top 14 sinon rien », a ouvert le bal, pour poser la question de la professionnalisation galopante de ce sport couplée à un phénomène de métropolisation dont les petits villages font les frais.

Rugby de terroir et rugby des grandes villes

« Il y a deux rugbys à l’heure actuelle : celui qui vous fait rêver, celui de l’argent, celui du Top 14. Mais il y a aussi le rugby pauvre des petites villes qui est encore plus appauvri par les plus gros clubs », pense l’ancien joueur et entraîneur Henry Broncan. « Il y a des clubs amateurs qui continuent de disparaître », alerte-t-il. Gilles Bertrandias, président du club de la ville de Marmande, confirme que « le rugby de métropole a pris le pas sur celui des villes moyennes ». « Toutes nos stars sont passées par nos petits villages, c’est là qu’ils ont émergé, on a besoin que chacun se respecte pour œuvrer ensemble à promouvoir notre sport », ajoute le président du club, créé en 1911 et couronné champion de France en deuxième division pendant la saison 1984-1985.

Alors, comment faire pour que les petits clubs survivent ? « On mutualise et on regroupe les petites communes du bassin marmandais, cela permet d’avoir un vrai parcours de développement pour les jeunes », explique M. Bertrandias, qui juge pour autant que les équipes seniors et les écoles de rugby doivent être conservées village par village afin de garder un « rugby de clocher ».

« On a glorifié la violence »

Autre table ronde, autres intervenants, mais le public reste scotché par la force des témoignages à propos de la violence de ce sport. Philippe Chauvin, qui a perdu son fils Nicolas dans un accident de rugby en 2018, appelle à « appliquer les règles de sécurité existantes et à sanctionner les joueurs qui ne les respectent pas ». « L’hyperviolence est inacceptable sur les terrains, il faut que les professionnels montrent l’exemple ! », espère-t-il.

Pour l’ancien ailier du Stade Français, Raphaël Poulain, le rugby est « bien sûr un sport de combat individuel et collectif », mais il ne faut pas négliger les risques psychosociaux vécus par les sportifs post-blessures ou à la fin de leurs carrières, alors qu’ils ont été longtemps tabous. « Sept rugbymen se sont suicidés ces dernières années », pointe-t-il, rappelant notamment la mort de Christophe Dominici.

« Pendant longtemps, on a glorifié la violence dans le rugby, mais on se questionne depuis quelques années sur l’impact sur les corps et sur la bonne manière de traiter cela », explique Clément Martel, journaliste qui couvre l’ovalie au Monde. Son confrère de Sud Ouest, Frédéric Cormary, raconte désormais faire « des articles sur les conséquences physiques des matchs ». « On raconte comment les joueurs doivent se mettre dans le noir pour se préserver après des commotions cérébrales », dit-il.

De nos archives : Article réservé à nos abonnés Le rugby en état de chocs

« La question, c’est comment arriver à faire évoluer l’image de la virilité », ajoute l’ancien joueur Raphaël Poulain, par ailleurs auteur d’un one-man-show intitulé « Quand j’étais Superman 2 », qu’il joue à Couthures vendredi soir. « La vulnérabilité et le droit à l’échec ne doivent pas être un problème », insiste-t-il, alors que le rugby reste un sport dans lequel machisme et sexisme subsistent encore largement.

Le rugby féminin, un traitement médiatique différent

L’après-midi se termine autour du rugby féminin. « Est-ce qu’on n’a pas été un peu trop obnubilé par la préparation de la coupe du Monde masculine ces derniers mois, en oubliant le rugby féminin ? », se questionne Amaia Cazenave, journaliste de Canal+. « Il y a toujours une mauvaise raison de ne pas en faire une priorité », rebondit la chercheuse Carole Gomez, qui a comptabilisé seulement quarante articles sur le sport féminin sur près de 2 000 dans le quotidien sportif L’Equipe au moment du Covid, en 2021. « L’arrivée de la plate-forme TikTok en tant que sponsor du tournoi des Six nations féminin a fait du bien et pourrait créer un effet d’aubaine », veut-elle croire.

« D’un côté, ce sont des pleines pages, de l’autre, des entrefilets », déplore une des festivalières, critiquant la différence du traitement médiatique des hommes et des femmes dans le sport, un « deux poids, deux mesures » dommageable selon elle. « Le mot-clef, c’est la volonté, il faut forcer les clubs à faire davantage pour le rugby féminin, et il faut continuer de briser la muraille du sexisme », martèle Amaia Cazenave, évoquant plusieurs réflexions machistes entendues encore récemment.

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