A Iten, au Kenya, les coureurs rêvent de venir bouleverser la hiérarchie mondiale du trail

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Kevin Kibet et Silas Kiprotich, deux coureurs de trail, s’entraînent à Iten, au Kenya, le 14 juin 2023
Kevin Kibet, 20 ans, prépare sa première course de trail professionnelle, à Iten, au Kenya, le 14 juin 2023

Une passation de pouvoir a-t-elle eu lieu en Autriche, début juin, lors des championnats du monde de trail ? Tout jeune venu dans la discipline, le Kenya s’est classé deuxième au tableau des médailles, derrière la France. Les coureurs kényans se sont hissés sur le podium sur toutes les courses sur lesquelles ils étaient alignés. Un exploit pour une nation qui excelle dans la course à pied sur route mais vient de découvrir cette discipline qui consiste à évoluer sur des sentiers, jusque-là chasse gardée des athlètes européens et nord-américains.

Le parcours d’une athlète kényane résume à lui seul l’arrivée tonitruante du Kenya dans le monde du trail. Philaries Kisang, 27 ans, a décroché l’argent sur l’épreuve de montée. Pourtant, il y a encore deux ans, la jeune femme ne courait quasiment pas, et encore moins sur des courses de côte.

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« Je voyais qu’elle montait vite, très vite, mais je ne m’attendais pas à une telle progression », souligne Isaac Inokadenge, le marathonien kényan qui l’a repéré. « C’est un talent pur, assure son ancien entraîneur Julien Lyon, qui entraîne une équipe, les Milimani Runners, et qui l’a accompagnée durant un an à Iten (ouest), une ville considérée comme la “Mecque des marathoniens” au Kenya. Elle a eu une vie très dure, elle s’est mise à la course tard mais elle explose déjà au plus haut niveau », affirme-t-il fièrement.

« Un rapport poids/puissance extraordinaire »

Posés à 2 400 mètres d’altitude, les hauts plateaux de la vallée du Rift sont un terrain de jeu idéal pour un coureur en recherche de dénivelé. Pourtant, ils n’y sont qu’une vingtaine à s’entraîner spécifiquement pour la course de montagne. « Même pas 1 % des athlètes à Iten ! », s’amuse Julien Lyon. Mais les athlètes qui ont usé leurs chaussures ici pourraient bientôt concurrencer l’hégémonie occidentale dans cette jeune discipline qui a de plus en plus d’adeptes. « J’ai la conviction que les athlètes kényans peuvent s’imposer dans les courses de trail d’ici trois ou quatre ans, continue Julien Lyon, qui en a fait son cheval de bataille. Ils ont tout pour eux : ils s’entraînent en altitude, sur un terrain escarpé et ont un rapport poids/puissance extraordinaire. »

Kevin Kibet, 20 ans, fait partie de ces rares transfuges qui s’essaient aux courses de côte. « D’abord, je cours car il n’y a pas d’autre choix. On court vraiment tous pour gagner de l’argent », indique le jeune coureur, dans la chambre spartiate où il se repose entre ses deux sorties quotidiennes. « Le marathon, c’est prestigieux et il y a beaucoup d’argent lorsque tu excelles, mais c’est difficile de faire sa place. Dans le trail, tu gagnes assez peu d’argent mais tu as beaucoup de chance de réussir. » Ce fut le pari gagnant de son ancien voisin, Patrick Kipngeno, déjà double champion du monde de course en montagne.

Si leurs capacités en montagne sont supposées être supérieures à leurs concurrents européens, pourquoi le trail ne se démocratise-t-il pas au Kenya ? « Il leur manque encore un modèle, une star qu’ils voudraient suivre. Les coureurs d’Iten se méfient aussi du risque de blessures et d’entorses qu’ils jugent trop important », expose Julien Lyon. De fait, au Kenya, une blessure peut rapidement être synonyme de fin de carrière et de banqueroute pour les athlètes.

« Une terre de grands champions… et de dopage »

Un événement a mis un coup d’arrêt aux efforts des traileurs kényans. En 2022, deux cas de dopage sur la course de Sierre-Zinal, en Suisse, sont venus ternir la réputation de ces coureurs. Les sponsors désireux d’investir dans le trail au Kenya ont été refroidis. « Ce pays est à la fois vu comme une terre de grands champions mais aussi comme une terre de dopage », souligne Mathieu Blanchard, ultra-traileur professionnel, qui voit peu à peu arriver cette concurrence venue d’Afrique et est allé s’entraîner cette année sur les chemins ocre d’Iten.

Pour la seule année 2022, vingt-cinq coureurs de fond kényans ont été déclarés positifs à des produits dopants. « Une honte nationale » selon le recordman du monde du marathon et star locale, Eliud Kipchoge. A tel point que la fédération kényane d’athlétisme tout entière pourrait se voir imposer des sanctions.

Si les Kényans ont su se hisser en un temps record parmi les nations de trail, c’est surtout lors de courses courtes, dites de « montée sèche », sur 7 ou 15 kilomètres. Les trails les plus prestigieux, comme l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, en France, et ses 160 kilomètres, leur sont encore inaccessibles. « Ils sont très dominateurs lorsqu’il s’agit des montées, mais ils souffrent en descente par manque de technique et d’aptitude musculaire dans ce domaine », indique Mathieu Blanchard.

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Y parviendront-ils un jour ? « Ils ont une discipline d’entraînement quasiment militaire donc ils peuvent progresser très vite. Pour l’instant, ils ne pensent pouvoir gagner autant d’argent dans le trail que sur la route, et tant mieux pour nous », sourit l’ultra-traileur.

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