« Préparez-vous à l’imprévu ! » est le sous-titre de la nouvelle exposition de la Maison Poincaré, lieu parisien consacré à la culture mathématique ouvert il y a un an. La harangue est juste car les visiteurs sont plongés très vite dans l’étonnement, grâce à plusieurs confrontations avec le hasard, thème central de l’installation.
Le mélange d’un anodin jeu de 52 cartes est l’occasion de constater qu’il est fort probable que l’arrangement obtenu soit unique au monde – il y a 52 combinaisons (factorielle de 52, qui s’écrit 52 !), soit un nombre à 67 chiffres. Un tirage de nombres aléatoires fait comprendre que les nombres ont plus de chance de commencer par un petit chiffre que par un grand (loi de Benford). Certains « dés » aux faces de surface différente peuvent avoir une probabilité égale de tomber sur l’une ou l’autre de ces faces. Autre surprise, sous forme de paradoxe : alors que le lancer d’un dé est déterministe, donc prédictible, en théorie, c’est sa traduction en arabe, az-zahr, qui a donné le terme « hasard ». D’où aussi la première leçon : le hasard peut être le reflet de notre ignorance.
Dès le premier stand, la mécanique bien huilée de l’exposition, conçue par Jean-Baptiste Aubin, enseignant-chercheur à l’Institut national des sciences appliquées de Lyon, et déjà présentée à la Maison des mathématiques et de l’informatique de Lyon en 2018, est donc en place. C’est un mélange de participation active du public, par des jeux, et de pédagogie, avec des planches explicatives succinctes, qui évite l’aspect trop scolaire.
Le désordre source d’ordre
Après ces premières surprises, place à la découverte de plusieurs concepts et questionnements autour de l’aléatoire. Peut-on l’influencer ? Est-on condamné à ne rien pouvoir en dire ? Un ingénieux dispositif de billes tombant au hasard à travers un espace hérissé de petits picots montre magistralement le passage vers la mathématisation du hasard : la chute est aléatoire mais toutes ces billes s’entassent sous la fameuse courbe en cloche de Gauss. D’autres stands traitent de l’addiction aux jeux de hasard, insistent sur la place du hasard dans la vie et dans l’évolution, ou dans le domaine de la physique des particules…
L’art, que la Maison Poincaré ne manque pas d’enrôler dans ses expositions, est omniprésent. Un livre de Queneau, les Cent mille milliards de poèmes (1961), invite le visiteur à créer une œuvre originale. Le verre cassé du sculpteur Tango Tanguy, que les uns verront en mille morceaux quand d’autres distingueront un verre à pied indemne, illustre le désordre source d’ordre. Plusieurs aquarelles de Marie-Pierre Coiffard, réalisées pour l’exposition, participent à l’ambiance propice à la stimulation intellectuelle.
Il vous reste 19.86% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.