Tout a commencé par un banal dîner dans la cour d’une maison à Brazzaville, au début des années 1980. Un serpent qui se faufile près de la table, des convives qui hurlent et, pour le médecin qui vient à peine de prendre ses fonctions dans la capitale congolaise, la révélation de la place occupée par cet animal, source à la fois de fascination et de frayeur. Une frayeur irraisonnée qui tient avant tout à une large méconnaissance.
Lorsque Jean-François Trape se tourne vers les bibliothèques locales, il ne trouve que quelques publications scientifiques datées, mais aucun ouvrage de synthèse susceptible d’étancher sa curiosité. Lui-même ne s’est jusqu’alors jamais intéressé aux serpents. Tout juste a-t-il approché quelques couleuvres dans les Cévennes et lu un livre qui l’a beaucoup marqué sur la façon d’attraper les gigantesques serpents de Bornéo. Le champ d’investigation qui s’ouvre à lui est si vaste qu’il lui apparaît impossible de ne pas s’en emparer.
Spécialiste du paludisme et de la borréliose, Jean-François Trape a mené en parallèle, au cours des quarante dernières années, sa profession de chercheur à l’Orstom (l’organisme français qui deviendra l’Institut de recherche pour le développement) et sa passion de collectionneur de serpents. Ses missions de terrain en Afrique centrale puis en Afrique de l’Ouest lui ont permis de faire l’inventaire de 25 000 spécimens grâce à un programme de science participative avant l’heure.

« Je confiais aux chefs de village un bidon de 30 ou 60 litres rempli de formol ou d’alcool, dans lequel je demandais que soient stockés les serpents attrapés dans les champs ou aux alentours des habitations. A mon retour, trois mois, six mois ou un an après, nous faisions le décompte des prises en partageant nos connaissances », décrit-il.
Un outil de prévention
Son Guide des serpents d’Afrique (un ouvrage de près de 900 pages) s’appuie en grande partie sur ce travail colossal. Les 370 espèces recensées constituent l’inventaire le plus complet jusqu’à présent réalisé. Chacune d’entre elles – illustrée par plusieurs photos et des dessins – est décrite avec minutie, tout comme son comportement et son aire de répartition. Défilent ainsi les familles de pythons, boas, cobras, mambas, vipères, couleuvres, serpents-aveugles et autres serpents-vers.
Le chercheur en a pour sa part découvert une quarantaine. Dont bon nombre au Tchad, où le ministère de la santé, intéressé par son travail, a financé de 2015 à 2017 la distribution de bidons et la collecte des données dans la plupart des régions. « Savoir reconnaître les serpents et leur dangerosité dans des pays où les sérums antivenin n’existent pas ou sont financièrement inaccessibles pour la grande majorité de la population est important », explique le médecin, regrettant que le Tchad n’ait pas eu les moyens de déployer le programme de vulgarisation initialement imaginé.
Sur les 370 espèces, moins d’une cinquantaine peuvent infliger des morsures mortelles, que le livre signale par une ou plusieurs têtes de mort. Car l’ambition de ce guide – dont la version en ligne sera gratuite d’ici deux ans – est aussi d’offrir un outil de prévention à ceux qui voudraient s’attaquer à ce problème de santé loin d’être anecdotique. L’incidence annuelle des morsures non suivies de décès, mais parfois à l’origine de séquelles graves, est estimée à 1 pour 200 à 400 habitants en zone rurale.
« Par manque de connaissances, tous les serpents sont a priori considérés comme mortels. Ce sont pourtant plus souvent les remèdes proposés par les guérisseurs traditionnels qui font davantage de mal à la victime que la morsure elle-même », raconte l’auteur, citant les multiples cas d’emplâtre de terre qui font dégénérer la plaie en gangrène.
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L’inventaire mené par le médecin aux 25 000 serpents n’est pas achevé. De nombreuses espèces restent selon lui à découvrir. Mais les futurs chercheurs disposent désormais d’un socle solide pour se lancer.
Guide des serpents d’Afrique occidentale, centrale et d’Afrique du Nord, de Jean-François Trape, éd. IRD, 896 pages, 65 euros.
