La mort du physicien Etienne Guyon, ancien directeur de l’Ecole normale supérieure

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Etienne Guyon, en 2017.

Supraconductivité, superfluidité, cristaux liquides, instabilités hydrodynamiques et turbulence, milieux poreux, systèmes granulaires et autres sont les thèmes sur lesquels le physicien français Etienne Guyon, mort le 13 juillet à l’âge de 88 ans, a apporté des contributions majeures, largement reconnues par la communauté scientifique internationale.

Mais n’évoquer que cet aspect très important de sa vie scientifique serait négliger sa personnalité, rare dans cette communauté. Etienne Guyon s’est illustré comme enseignant, écrivain, animateur scientifique, vulgarisateur et acteur institutionnel. Professeur à l’université de Paris-Orsay et à l’Ecole supérieure de physique et chimie industrielles de Paris (ESPCI), il a également été directeur du Palais de la découverte à partir de 1988, poste qu’il quitta en 1990 pour prendre la direction de l’Ecole normale supérieure (ENS) jusqu’en 2000, avant de revenir comme chercheur émérite au laboratoire de physique et mécanique des milieux hétérogènes (PMMH) de l’ESPCI, où il a continué de travailler jusqu’à son décès.

En 1955, il est reçu au concours de l’Ecole polytechnique et de l’ENS et choisit cette dernière. En ces temps de guerre d’Algérie, il fait partie d’un groupe d’étudiants catholiques (les « talas »), des pacifistes engagés. En 1961, il commence une thèse expérimentale, qu’il soutiendra en 1965, sur la supraconductivité (conduction électrique sans résistance à très basse température) avec un jeune professeur de physique de l’université d’Orsay nommé Pierre-Gilles de Gennes, futur Prix Nobel, dont il sera le premier thésard et l’ami fidèle.

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Après sa thèse, Etienne Guyon se rend à l’université de Californie à Los Angeles, pour travailler sur l’hélium superfluide (s’écoulant sans viscosité à très basse température). Une partie de ses expériences a inspiré la théorie de Kosterlitz et Thouless, récompensée en 2016 par le prix Nobel de physique.

De retour à Orsay, il rejoint une nouvelle activité lancée par Pierre-Gilles de Gennes sur les cristaux liquides. Ses travaux sur le mouvement des cristaux liquides soumis à une différence de température font de lui une référence internationale dans ce domaine. Etienne Guyon devient alors l’une des figures de proue de la communauté française des recherches sur les instabilités, le chaos et la turbulence, qui vont connaître un fort impact international entre les années 1980 et 1990.

Il rejoint en 1978 l’ESPCI, pour y donner le cours d’hydrodynamique physique. Bientôt, il ouvre un nouveau laboratoire, qui deviendra plus tard le PMMH. Cette grande école, rattachée à la Ville de Paris, forme des ingénieurs en privilégiant l’expérimentation et la recherche. Elle a un riche passé dans l’histoire de la physique : Pierre et Marie Curie y découvrirent, en 1898, le radium. L’établissement a été entre autres dirigé par Paul Langevin et, lorsque Etienne Guyon le rejoint, Pierre-Gilles de Gennes en assure la direction.

Les cours dispensés à l’ESPCI par Pierre Bergé et Etienne Guyon ont radicalement modifié l’enseignement de l’hydrodynamique. Ils les dispensent à partir des résultats récents de la recherche et en font la base d’un texte pédagogique dont Etienne Guyon fut le coauteur, sous le titre de Hydrodynamique physique (1991). Cet ouvrage accompagnera des générations d’étudiants à travers le monde.

Un dynamisme fulgurant

A l’ESPCI, il a développé des recherches sur les instabilités hydrodynamiques et les milieux poreux, et ouvert une activité de recherche sur la matière molle. Doté d’une capacité de travail remarquable, doublée d’un dynamisme fulgurant, Etienne Guyon a joué un rôle très important dans la genèse d’un style de recherche précurseur, associant physique et mécanique, et inspiré par la physique statistique.

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Il s’intéressa à la matière en désordre et fut le fondateur du groupement de recherche « Milieux aléatoires macroscopiques » qui a structuré, et structure encore aujourd’hui, la communauté française d’études sur la matière molle.

En 1975, à l’occasion du Congrès national de la Société française de physique, à Dijon, il lui est demandé d’installer en plein air une animation de physique intitulée « Physique dans la rue », une installation pour laquelle il confiera s’être inspiré de Mai 68 et qui connut un vif succès. Il s’appuiera sur cette expérience lorsqu’il présidera le comité d’orientation de la Cité des sciences de la Villette, lors de son ouverture, et ensuite au Palais de la découverte.

Le modèle du Palais de la découverte (expositions, animations, conférences), avec des relations continues avec les expériences et le monde de la recherche, convient très bien à ce physicien expérimentateur. Durant son court mandat, il revitalise les clubs scientifiques de jeunes (« Les petits débrouillards »), auxquels il restera toujours très attaché.

Il complète son expérience institutionnelle à partir de 1990, traversant les 200 mètres séparant l’ESPCI de la rue d’Ulm (toujours dans le 5e arrondissement de Paris) pour diriger pendant dix ans l’ENS. Sa large culture et sa sensibilité pour les sciences humaines le rendaient particulièrement attentif aux élèves littéraires, et il est notamment intervenu pour numériser la bibliothèque et développer l’informatique dans les départements littéraires.

L’une de ses initiatives les plus innovantes a été la création du concours d’entrée « européen », permettant d’accéder directement à la catégorie d’élève normalien après un examen dans l’une des cinq langues autorisées (anglais, allemand, français, espagnol et italien). Actuellement, malheureusement, cette sélection ne donne plus accès qu’à des bourses.

La plume comme une arme

Etienne Guyon défendait avec énergie l’utilisation précise de la langue dans le monde de la science, insistant jusque dans les débats récurrents au laboratoire sur l’usage du français. C’est ainsi qu’il fut nommé expert à la Commission générale de terminologie et de néologie. En cultivant le bilinguisme, il promut la diversité linguistique.

Homme de combat, il maniait la plume comme une arme et, parlant avec aisance à tous, sa voix portait loin, aux sens propre et figuré. Etienne Guyon fut, dans ses dernières années, un auteur prolifique, écrivant une dizaine de livres dans lesquels il exposait, dans un langage simple et accessible, les derniers résultats de la physique du désordre. Beaucoup de ses coauteurs étaient de jeunes scientifiques que cet exercice de travail en commun a marqué.

Sa maison familiale de Limours (Essonne) était ouverte à qui avait besoin d’un toit. Lui qui avait eu la douleur de perdre deux de ses quatre enfants rayonnait de plaisir, des années plus tard, annonçant urbi et orbi la venue au monde d’un neuvième arrière-petit-enfant.

Etienne Guyon en quelques dates

31 mars 1935 Naissance à Paris

1978 Professeur à l’Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de Paris (ESPCI)

1988-1990 Dirige la Palais de la découverte, à Paris

1990-2000 Dirige l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm (Paris)

13 juillet 2023 Mort à Molières-Cavaillac (Gard)

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