L’abri rocheux de Santa Elina, dans le Mato Grosso, offre un formidable condensé de l’occupation humaine du Brésil. Hormis les peintures rupestres figuratives multiséculaires très riches, elle a livré aux archéologues des indices moins visibles d’une présence bien plus ancienne de notre espèce dans ces contrées, sous la forme d’ossements et d’outils de pierre. Mais aussi d’intrigantes « perles » tirées de paresseux géants, des animaux depuis longtemps disparus. Une étude publiée le 12 juillet dans les Proceedings of the Royal Society B présente ainsi l’analyse de trois ostéodermes percés trouvés dans les couches les plus anciennes du site, datées de 25 000 à 27 000 ans.

Ostéoderme ? Ce terme désigne « des petites billes osseuses présentes dans la peau de certains paresseux géants, peut-être un vestige de leurs ancêtres cuirassés », explique François Pujos. Ce paléontologue au Conseil national de la recherche scientifique et technique (Conicet) argentin, un organisme comparable au Centre national de la recherche scientifique français (CNRS), n’a pas participé à l’étude de Santa Elina, mais il est un spécialiste de Glossotherium phoenesis, l’espèce de paresseux géants trouvés sur place. « Ces ossifications à l’intérieur du derme pouvaient fonctionner comme une armure intégrée », décrit-il. Elles étaient vascularisées, ce qui laisse penser qu’elles pouvaient aussi jouer un rôle dans la régulation thermique de cette famille d’animaux dont les plus massifs pouvaient atteindre plusieurs tonnes – ils faisaient partie de la « mégafaune », un groupe de mammifères de grande taille dont les derniers ont disparu il y a 11 000 à 12 000 ans en Amérique.
« A Santa Elina, on a retrouvé plus de 4 000 ostéodermes répartis sur une surface de 15 m2 de fouilles », déclare Agueda Vialou (Muséum national d’histoire naturelle de Paris, université fédérale de Bahia), qui a dirigé celles-ci de 1984 à 2005. Elles ont mis au jour deux spécimens de Glossotherium, l’un dans une couche datée de 12 000 ans, et l’autre dans la strate la plus ancienne, de plus de 25 000 ans. C’est dans celle-ci que trois ostéodermes ont attiré l’attention des archéologues, en raison de perforations qu’ils ont attribuées à l’humain –Agueda et son époux, Denis Vialou, estimant dès la fin des années 1990 qu’ils avaient pu servir de parure ou de pendentif.
La nouvelle étude visait à lever les doutes quant à l’origine intentionnelle de ces perforations, grâce à un travail tracéologique utilisant plusieurs techniques d’imagerie. « Nous voulions être le plus certain possible qu’elles ne pouvaient résulter de processus physico-chimiques et d’interventions animales », précise Loïc Bertrand, chimiste des matériaux anciens et directeur de recherche à l’Ecole normale supérieure Paris-Saclay. Les pièces sont donc venues du Brésil pour être soumises aux rayons X de l’European Synchrotron Radiation Facility à Grenoble et à des analyses en photoluminescence pour apprécier la contemporanéité des perforations et des polissages observés sur les ostéodermes. Elles ont aussi été comparées à des ostéodermes fossiles modifiés expérimentalement.
Il vous reste 63.91% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.