Mon bras gauche me fait mal. J’essaie de me tourner dans mon lit pour trouver une position plus confortable, mais rien n’y fait : les sangles blanches autour de mon ventre, mes pieds et ma main sont trop serrées. Au moins, une de mes mains est libre, ce qui me permet de regarder les photos de mes enfants sur mon téléphone. Ils me manquent tellement. Je suis en contention, pour la troisième journée consécutive, dans l’unité protégée de psychiatrie.
Avant l’âge de 29 ans, tout allait bien. J’ai eu une enfance heureuse, j’étais toujours la meilleure de ma classe, j’ai réussi mes études, rencontré mon mari et eu deux enfants en bonne santé. Ma première fille est née pendant que je faisais ma maîtrise. Je pensais que c’était tout à fait possible de concilier carrière et maternité. J’ai réussi à obtenir mon diplôme et, par la suite, j’ai commencé un doctorat en neurosciences. Après un an, nous avons décidé d’avoir un deuxième enfant.
L’image de la mère qui reste à la maison avec les enfants ne correspondait pas du tout à l’idée que je me faisais de moi-même. Quatre mois après la naissance de ma deuxième fille, j’ai repris le travail. Je ne voulais pas que ma thèse souffre de mon statut de mère. Surtout quand je voyais mes collègues masculins progresser alors que je restais à la maison avec le bébé.
Me protéger de moi-même
Six mois plus tard, la dépression sévère et les symptômes de la personnalité borderline m’ont frappée de plein fouet. Je me suis automutilée pour soulager la pression qui pesait sur moi. Je ne voulais plus vivre. J’ai été admise à l’unité protégée d’un hôpital psychiatrique, en Ile-de-France. Pour me protéger de moi-même. On y était protégé en nous privant de tout : objets tranchants et verre bien sûr, mais aussi téléphone et câble de charge. Après m’être coupée avec un tube de dentifrice, on m’a également retiré mes derniers objets personnels, de la brosse à dents au crayon à papier.
On déposait nos vêtements et on nous donnait une sorte d’uniforme bleu. Je me sentais comme une détenue. Punie pour ne plus avoir le contrôle de mes émotions. Bien sûr, ce n’était pas le but, c’était pour assurer la protection absolue des patients, mais pour quelqu’un qui avait toujours eu un contrôle total sur sa vie, c’était une torture. Pendant la journée, on ne pouvait en principe rien faire d’autre que lire – pour quoi ma concentration était trop faible –, regarder la télévision ou discuter avec les autres patients.
J’ai fait des rencontres surprenantes durant mon séjour là-bas et j’ai rencontré des personnes que je n’aurais jamais abordées dans la « vie normale ». J’ai appris que n’importe qui pouvait se retrouver dans une telle situation. Peu importe que quelqu’un soit pauvre, ait vécu depuis son enfance dans des conditions difficiles, ou ait eu une carrière réussie. Face aux troubles mentaux, tous semblaient égaux.
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