Le camouflage de la seiche, du génie par approximations successives

0 Shares
0
0
0
Une seiche en propulsion, aux îles Canaries (Espagne).

La seiche peut-elle encore nous surprendre ? Depuis que les chercheurs ont commencé à étudier ses capacités stupéfiantes de camouflage, le cliché qui faisait d’elle une bestiole laide et sans intérêt, tout juste bonne à fournir chair et encre à nos assiettes, a volé en éclats. Il est désormais acquis que son génie du camouflage rejoint celui, bien connu, des poulpes. En 2018, le Français Gilles Laurent et son équipe de l’Institut Max-Planck, à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), parvenaient à mettre au point une méthode de suivi des cellules pigmentaires de l’animal, tant à l’échelle de chacun de ces chromatophores qu’à celle de plusieurs dizaines de milliers d’entre eux. Ainsi racontaient-ils comment la seiche entretenait son nuancier, par une subtile et continue introduction de points jaunes au milieu de pixels orange, rouges, bruns, noirs…

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés La seiche, la pensée à portée de peau

Mais par quel miracle la peintre des profondeurs parvient-elle à imiter son modèle ? Avec quelle palette de motifs ? Et par quel chemin ? Pour répondre à ces questions, les chercheurs de l’institut allemand ont dopé leur dispositif, de façon à suivre simultanément jusqu’à 300 000 chromatophores. Puis ils ont présenté aux seiches différents types de substrats (des bernacles sur un rocher, des graviers, une planche de bois…). Enfin, ils ont utilisé un système d’intelligence artificielle pour analyser les quelque 200 000 motifs dessinés par la peau de l’animal.

Publiés dans la revue Nature, le 28 juin, les résultats ont déjoué les pronostics des chercheurs. D’abord, le registre de motifs se révèle beaucoup plus complexe qu’ils ne l’escomptaient. « Chaque réalisation d’un camouflage en réponse au même substrat, qui nous apparaît à l’œil comme étant identique, est en fait différent, explique Gilles Laurent. L’animal réalise à chaque fois un patron approprié, statistiquement parlant, mais différent. » En guise d’analogie, le neurobiologiste invite à penser à « cinquante poignées de sable : identiques statistiquement et perçues comme les mêmes mais différentes chaque fois dans le détail ».

Un défi fascinant

Mieux : le chemin pris par l’animal pour réaliser son motif est lui aussi unique, élaboré « de manière progressive, indirecte, et intermittente », poursuit-il. La seiche compose un patron, le compare au résultat visé, le corrige, le compare de nouveau, « chaque fois en diminuant progressivement la différence entre son patron cutané et celui du substrat ». Pour ce faire, elle fait là encore preuve d’une grande liberté, qui tient autant de l’improvisation du jazzman, inventant chaque fois un nouveau parcours musical, que de la composition réfléchie du peintre.

Il vous reste 33.18% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

source

0 Shares
Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

You May Also Like