Bien sûr, c’est une affaire de patriotisme et d’affirmation du politique sur l’économique. Mais derrière le conflit qui oppose depuis quelques semaines le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, au patron du constructeur Stellantis, Carlos Tavares, il y a aussi un enjeu démocratique. Le premier entend convaincre le second de relocaliser en France son usine de e-208, un véhicule électrique d’entrée de gamme. Le gouvernement est en quête d’un trophée dans son offensive pour la réindustrialisation du pays, lancée depuis la pandémie de Covid-19. Il a des arguments sonnants et trébuchants : comme les Etats-Unis, l’Hexagone est prêt à mobiliser de l’argent public pour faire venir des usines sur son sol.
Stellantis est, de son côté, une cible toute trouvée : sauvé par l’Etat une première fois en 2013, le groupe PSA (qui a fusionné avec Fiat-Chrysler en 2021 pour créer Stellantis) a été le premier bénéficiaire des aides à l’activité partielle dans l’industrie automobile pendant la crise sanitaire, pour près de 300 millions d’euros. « Je souhaite qu’il [Carlos Tavares] relève ce défi de construire des petits véhicules électriques comme la e-208 en France », a insisté Bruno Le Maire sur BFM, le 4 juillet, prenant le pays à témoin.
En face, M. Tavares lui oppose la froide réalité économique, celle consistant à « être confronté à la brutalité de ce qui se passe au quotidien, répond-il dans Le Figaro. Et cette réalité est que la structure de coûts du monde occidental est parfaitement inadaptée pour se mesurer avec celles des constructeurs chinois », qui produisent de « 20 % à 25 % moins cher ». Produire en France coûte cher, trop cher, même pour les acheteurs français. Les classes moyennes ne peuvent pas se payer des voitures made in France.
L’histoire s’est répétée dix fois, dans l’Hexagone et ailleurs. Mais le monde a changé. Les politiques ont compris que derrière l’industrie se joue en partie l’avenir des démocraties. Le Brexit et Donald Trump sont passés par là.
Polarisation du marché du travail et du corps électoral
Un pays qui se désindustrialise est une menace pour lui-même. Dans les régions les plus touchées, la destruction de l’emploi industriel – dont l’automobile a été à l’avant-poste avec près de 300 000 emplois disparus dans la filière depuis 1990 – a ouvert grand la voie au vote des extrêmes. « Une usine qui ferme c’est une permanence RN [Rassemblement national] qui ouvre », a coutume de dire M. Le Maire, qui a observé le phénomène de près dans son fief de l’Eure, où il a été élu quinze ans durant, et où le RN a emporté quatre circonscriptions sur cinq lors des législatives de 2022.
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