Avant de prendre la parole, il a posé ses mains sur les accoudoirs de son fauteuil et il a donné une grande impulsion, balançant son buste en avant. Comme s’il lui fallait se jeter à l’eau. Puis, d’un geste sec et précis, il a tiré sur la veste de son costume trois-pièces bleu nuit, pour en effacer les plis. Au Sénat, ce jeudi 15 juin, le journaliste Mohamed Sifaoui s’apprête à témoigner devant la commission d’enquête constituée à la suite des supposées irrégularités du fonds Marianne. Lancée par Marlène Schiappa, alors ministre de la citoyenneté, cette enveloppe de 2,5 millions d’euros a été créée au printemps 2021 en réaction à l’assassinat du professeur Samuel Paty, le 16 octobre 2020, dans le but de financer une riposte aux discours séparatistes sur les réseaux sociaux.
Principal bénéficiaire du fonds, le Franco-Algérien est soupçonné d’avoir utilisé, par le biais d’une obscure association, l’Union fédérative des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), une large part de cet argent pour se rémunérer, lui et son associé, un curieux homme d’affaires, Cyril Karunagaran, patron d’une petite entreprise de maroquinerie de luxe. Deux jours plus tôt, le 13 juin, les policiers sont venus frapper à la porte du journaliste, vers 6 heures, pour une perquisition dans le cadre d’une information judiciaire ouverte par le Parquet national financier pour « détournement de fonds publics par négligence », « abus de confiance » et « prise illégale d’intérêts ».
Devant les sénateurs, plutôt que de chercher à se défendre, Mohamed Sifaoui a choisi d’attaquer. S’en prenant à un invisible chiffon rouge que personne n’a encore pris la peine d’agiter, il donne des coups de corne, à droite et à gauche. Une première pique adressée au sénateur écologiste du Val-de-Marne Daniel Breuiller, qui, pour résumer l’affaire du fonds Marianne, avait dénoncé « la République des copains ». « Le premier copinage qui devrait être dénoncé est celui qui lie votre courant politique, celui des écologistes, à l’islamisme, et ce dans plusieurs villes de France », décoche Mohamed Sifaoui.
Il dénonce ensuite le rapport « pathétique » de l’inspection générale de l’administration « instruit exclusivement à charge, avec des approximations, des insinuations graves et des mensonges ». Puis, emporté par son élan, il poursuit son réquisitoire contre « des systèmes médiatiques sclérosés globalement médiocres qui alimentent le populisme ». Convaincu de son innocence, il se dit ligoté à un bûcher médiatique. Il se vit comme une victime expiatoire condamnée, à l’avance, pour son combat contre l’islamisme politique.
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