Ils sont devenus les compagnons familiers de nos destinées modernes. Abandonnés sur les plages, prisonniers des glaciers ou concentrés en gigantesques vortex dans les océans, les déchets ont envahi tous les milieux, colonisé jusqu’au vivant. Microscopiques ou encombrants, à l’état solide, liquide ou gazeux, ils tracent sur les mers de nouveaux chemins mondialisés, saturent les airs et les sols, investissent désormais l’espace. Parfois qualifiés d’« ultimes » ou de « polluants éternels », ils s’imposent dans nos assiettes, notre eau potable, et jusqu’à la pointe de nos cheveux.
Les chiffres donnent le vertige. La production annuelle de déchets solides a dépassé les 2 milliards de tonnes dans le monde et devrait atteindre 3,4 milliards en 2050, alerte la Banque mondiale. Celle des plastiques a doublé en vingt ans, estime l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont les deux tiers sont « mis en décharge, incinérés ou rejetés dans l’environnement ».
Si cette omniprésence affecte directement la santé humaine et celle des écosystèmes, elle marque aussi l’empreinte indélébile des activités humaines sur la Terre. Depuis les premiers amas laissés à l’entrée des grottes, témoins de sa sédentarisation, les détritus racontent l’histoire d’Homo sapiens. Désormais, ils attestent aussi de l’entrée dans l’anthropocène, ce moment où l’espèce humaine a commencé à modifier les conditions d’existence sur la Terre, se muant en force tellurique, au même titre que le Soleil ou la tectonique des plaques, et ouvrant ainsi une nouvelle ère géologique.
Symptôme d’un système malade
Les chercheurs de l’Union internationale des sciences géologiques hésitent encore sur la date de ce tournant. Faut-il prendre en compte les concentrations gazeuses de CO2 des débuts de la révolution industrielle, les traces radioactives des explosions nucléaires de la seconde moitié du XXe siècle ou bien l’apparition plus récente des plastiglomérats, ces roches de plastique constituées de matières de synthèse, parfois agrégées à du sable, des coquillages ou des coraux ? « Quelle que soit la date reconnue, les géologues s’accordent pour fonder la preuve indubitable du basculement sur l’accumulation des restes des activités humaines dans les strates de la couche supérieure de la planète », constate le sociologue Baptiste Monsaingeon. Dans son livre Homo detritus. Critique de la société du déchet (Seuil, 2017), il propose le terme « poubellocène » pour décrire cette nouvelle ère du déchet.
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