Des voitures calcinées, des maisons et des commerces aux façades brûlées, des visages meurtris et des yeux creusés par la fatigue… A Béjaïa, dans le nord-est de l’Algérie, les stigmates de la catastrophe sont bien présents. Tout au long de la route du littoral, d’où les feux de forêts ont démarré dans la nuit du 23 au 24 juillet, des scènes racontent les heures de terreur vécues par des habitants encore sous le choc. En regardant vers l’horizon, la Méditerranée est imperturbable, dans son calme estival. Mais les collines qui descendent en cascade jusqu’à la mer sont, elles, parsemées de trous noirs, qui témoignent de la virulence des flammes.
Entre le 23 et le 25 juillet, 140 incendies se sont déclarés à travers dix-sept wilayas (divisions administratives) au nord-est du pays, faisant trente-quatre morts, dont dix militaires, et 325 blessés. Les feux ont entraîné l’évacuation de 1 500 habitants, détruit des habitations et brûlé des hectares de forêt et de cultures, sans que ces dégâts puissent encore être chiffrés.
Les feux ont été maîtrisés grâce à « la mobilisation de 8 000 agents et officiers de la protection civile, et de plus de 530 camions anti-incendie, d’avions et d’hélicoptères, en sus de la mobilisation des moyens de différents services de l’Etat, de l’Armée nationale populaire, d’établissements privés et des citoyens », selon le ministère de l’intérieur, qui précise qu’une commission a été mise en place pour accélérer l’indemnisation des victimes.
« Un traumatisme »
Les images des incendies, partagées en temps réel sur les réseaux sociaux, ont traduit l’ampleur de la catastrophe. Sur les vidéos parvenant de Béjaïa, on voit des citoyens s’échappant des villages encerclés par les feux, pour se réfugier sur les plages, tandis que la fumée emplit l’air et que la rougeur des flammes avale le vert des collines.
« Un traumatisme. » C’est ainsi que Karim Guougil, élu à l’assemblée populaire communale de Toudja, à Béjaïa, résume son vécu de la catastrophe. Parmi les trente-quatre victimes des incendies, seize ont été décimées à Béjaïa, dont sept membres d’une même famille. « Les feux se sont déclarés au pied des villages sur le littoral Oued Dass vers minuit. Nous avons dormi d’un seul œil cette nuit-là en montant une permanence. Les feux nous ont atteints à 4 heures du matin », se rappelle-t-il.
Une course contre-la-montre commence alors pour les habitants du village, afin de mettre à l’abri les personnes les plus vulnérables, dont les enfants et les seniors, et de sauver les affaires qui pouvaient l’être. Un combat qui s’est révélé perdu d’avance puisque les flammes étaient poussées à une vitesse vertigineuse par des vents caniculaires. « Les images sont insoutenables. J’ai failli perdre mon fils de trois ans à cause de la fumée. Tout le monde est encore sous le choc », résume Karim, qui est aussi le président de l’association Tagmat du village de Souk El-Djemaa.
Un manque de moyens
Les feux, maîtrisés au bout de quarante-huit heures, et l’effroi qu’ils ont provoqué ont laissé place à la mobilisation. Les wilayas épargnées par les incendies se sont rendues au chevet de celles touchées, dès les premières heures suivant le sinistre. Des dons humanitaires, dont de la nourriture, des médicaments et de l’eau minérale, ont été acheminés par convois vers les régions touchées. Des psychologues ont aussi fait le déplacement, pour prendre en charge les victimes souffrant de choc post-traumatique.
Les feux de forêt sont venus couronner une vague de chaleur inédite ayant touché le nord de l’Algérie et durant laquelle les températures ont frôlé les 50 °C. Mais, à l’image de l’été 2021 (90 morts) et de l’été 2022 (26 morts), durant lesquels des feux meurtriers avaient ravagé plusieurs régions du pays, l’Etat algérien a encore une fois dénoncé des incendies d’origine criminelle. Des arrestations ont commencé avant même que les feux ne soient entièrement maîtrisés. La justice algérienne a annoncé, jeudi, le placement en détention provisoire de douze personnes mises en cause, en attendant leur procès.
Les sinistrés, eux, restent marqués par les conditions caniculaires, qui ont facilité l’embrasement de la région. « Je ne peux accuser personne, déclare Karim. Ces feux interviennent après plusieurs jours de canicule inédite. Nous pensons aussi que les vents, dont la vitesse a été estimée à 140 kilomètres-heure, ont favorisé la propagation rapide des flammes. »
Du côté de la population, le manque de moyens pour faire face à ces incendies inquiète plus que leur origine. « C’est le même scénario qui se répète depuis plusieurs années, et chaque été nous faisons face au même manque de moyens », dénonce Ahlem, 30 ans, originaire de Béjaïa, mais installée à Alger pour le travail. « Il s’agit là d’un autre calvaire. Nous sommes loin de nos familles, et, à l’approche de chaque été, l’anxiété grandit, pointe Ahlem. Nous ne savons pas si les flammes vont se déclencher, ni où et quand elles vont se déclencher. Nous vivons ainsi dans le stress, en espérant que nos proches seront épargnés. Le stress doit être encore plus élevé chez les gens de la diaspora. »