Il s’agit de l’un des enseignements à tirer des émeutes venant de secouer la France : outre quelques déclarations convenues, aucune « convergence des luttes » ne s’est opérée de manière tangible, entre la jeunesse révoltée des quartiers sensibles et les tenants des Soulèvements de la Terre. S’il faut le souligner, c’est qu’une telle convergence était attendue par certains comme la preuve a posteriori du bien-fondé de la dissolution du réseau écologiste, soupçonné d’utiliser la cause environnementale comme simple prétexte à la destruction de l’ordre républicain.
Cette convergence n’est pas advenue, et la dissolution des Soulèvements de la Terre restera comme un événement politique majeur. Si l’on en doute, il suffit de méditer ce fait simple : la France est désormais un pays dans lequel a été déclaré illégal un mouvement dont se réclament la lauréate nationale du prix Nobel de littérature, le dernier titulaire de la chaire d’anthropologie du Collège de France, des centaines d’artistes, de parlementaires, d’enseignants, d’universitaires et de chercheurs, ainsi que des partis politiques, des associations par ailleurs déclarées d’utilité publique, des syndicats d’agriculteurs ou de magistrats.
Le choix de la dissolution témoigne d’abord d’une certaine imperméabilité aux alertes de cénacles peu suspects de menées « écoterroristes ». Le 15 juin, sept rapporteurs spéciaux des Nations unies publiaient à l’adresse de la France une alerte s’inquiétant d’une « tendance à la stigmatisation et à la criminalisation des personnes et organisations (…) œuvrant pour la défense des droits humains et de l’environnement », justifiant un « usage excessif, répété et amplifié de la force ».
Longue liste de violences aux personnes
Un recours à la force que le gouvernement justifie par la violence de certains militants – violence au cœur des motifs avancés pour dissoudre le mouvement. Mais, en l’espèce, il y a des violences que l’Etat affronte et d’autres auxquelles il consent.
Mi-juin, dans Le Point, Arnaud Rousseau, le président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), exigeait la mise hors circuit du réseau écologiste, précisant qu’à défaut il n’était « pas sûr de tenir longtemps [s]es troupes ». Injonction délicate à gérer : lutter contre la violence d’une organisation en cédant aux menaces de violence d’une autre organisation, cela ne manque pas de sel.
Les mots de M. Rousseau ne sont pas des paroles en l’air. La liste est longue des violences aux personnes, des destructions de bâtiments publics, des menaces et des intimidations perpétrées par les milieux de l’agriculture productiviste. Fin juin, le journal en ligne Basta ! en a fait un recensement éloquent. Février 1982 : la ministre de l’agriculture, Edith Cresson, est retenue contre son gré par des militants de la FNSEA dans une ferme du Calvados et doit être évacuée par hélicoptère (« Mme Cresson dut courir à travers un pré vers la zone d’atterrissage préservée par les forces de l’ordre », rapporte Le Monde à l’époque).
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