A quelles conditions pouvons-nous continuer de voler dans un monde contraint par la raréfaction des ressources fossiles et le dérèglement climatique ? Nous, ingénieurs, pilotes, contrôleurs aériens, membres de l’association Aéro Décarbo, travaillons sur cette question depuis quelques années. Animés de l’esprit des pionniers, héros de l’air et grands humanistes, nous savons que les équations de la mécanique des fluides permettent aussi bien de faire voler des machines que de modéliser les phénomènes climatiques. Aussi souhaitons-nous aborder la question de la décarbonation du transport aérien avec la rigueur scientifique qu’elle mérite, sans sacrifier à notre attachement profond à l’aviation.
Le secteur aérien s’est engagé sur un objectif de zéro émission nette de CO2 en 2050. Si nous saluons cet engagement historique, nous rappelons qu’il n’est pas consistant avec la physique du climat. Notre futur climatique en 2050 ne dépend en effet pas de la quantité de gaz à effet de serre que nous émettrons alors, mais de la somme desdites émissions entre aujourd’hui et 2050 : c’est le fameux « budget carbone » calculé par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Le problème est donc selon nous mal posé : miser sur l’atteinte d’une cible en 2050, c’est oublier que nous devons dès aujourd’hui réduire nos émissions de 5 % par an pour respecter l’accord de Paris.
La décarbonation de l’énergie est le principal levier de réduction des émissions du secteur. Elle couvre aussi bien les carburants d’aviation durables (sustainable aviation fuels, SAF) que l’hydrogène. Si ces pistes sont crédibles quant à leur faisabilité technologique, la question de fond demeure celle des quantités disponibles de carburant bas carbone et des choix d’allocations intersectorielles en cas de production trop faible. Emmanuel Macron a fixé l’objectif de fournir 75 000 tonnes de kérosène durable aux compagnies à l’horizon 2030. A l’échelle mondiale, l’Association du transport aérien international table sur 24 millions de tonnes de SAF en 2030. Quant à l’hydrogène, qui nécessite la conception d’un nouvel avion, l’hypothèse la plus optimiste du programme ZEROe d’Airbus est un appareil capable d’embarquer 200 passagers sur 3 700 kilomètres en 2035. Ces éléments sont encourageants, mais ils restent significativement au-dessous des hypothèses du scénario optimiste publié en 2021 dans le rapport « Pouvoir voler en 2050 ».
Modération du trafic
L’originalité méthodologique de ce rapport est de calculer la croissance du trafic comme une donnée de sortie d’un modèle prenant en entrée un budget carbone fixé pour le secteur. Son scénario le plus optimiste, qui repose sur des hypothèses industrielles très ambitieuses, permet d’espérer une croissance du trafic mondial de + 2,5 % par an. Mais il suffit d’un retard de cinq ans sur les échéances de l’industrie ou d’un développement deux fois moins rapide que prévu des SAF pour que la croissance possible du trafic devienne négative. Or les récentes annonces de production de SAF nous situent au mieux entre ces deux scénarios.
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