De tous les secteurs d’activité, celui de l’aérien fait partie des plus difficiles à décarboner. Il est responsable de 3 % des émissions mondiales de CO2, et ses émissions ont plus que doublé depuis 1990. Si vous prenez un aller-retour Paris-New York, vous serez individuellement responsable de l’émission de 1 tonne de CO2, l’équivalent des émissions de 430 litres d’essence.
Les solutions techniques de décarbonation restent incertaines. On parle beaucoup des e-carburants pour l’aérien, produits à partir d’électricité verte. Hélas, 1 tonne d’e-kérosène coûterait 3 500 euros, contre 700 euros pour la tonne de kérosène issu du pétrole ! Comme la combustion de 1 tonne de kérosène émet 3 tonnes de CO2, chaque tonne de CO2 évitée coûterait environ 1 000 euros, au moins dix fois plus que bien d’autres actions de décarbonation, comme le remplacement du charbon par le gaz naturel pour produire de l’électricité, ou la substitution d’une chaudière au fioul par une pompe à chaleur. Il serait donc très inefficace de demander au secteur aérien de basculer rapidement vers ces nouvelles énergies soutenables, alors même que le mix électrique européen contient encore beaucoup de charbon, ou que le potentiel d’installation de pompes à chaleur reste encore très peu exploité.
Inégalités sociales et transition
Ces coûts de décarbonation très élevés suggèrent aussi qu’une tarification du carbone n’aura que peu d’effet sur les efforts des compagnies et de leurs clients. Un prix d’environ 100 euros par tonne de CO2, qui est actuellement celui du système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (SEQE), n’augmente le prix du billet d’avion aller-retour entre Paris et Toulouse que de 27 euros. Est-ce à dire que l’instrument de tarification du carbone est inefficace ? Non, mais il indique seulement que nous devrions commencer par décarboner d’autres secteurs de l’économie où les efforts produisent plus d’impacts écologiques par euro dépensé.
Malgré son poids modeste dans les émissions mondiales, le cas de l’aviation est aussi emblématique parce que ses usagers sont beaucoup plus riches que la moyenne. Laisser ce secteur poursuivre sa croissance alors que l’on va devoir demander des transformations de mode de vie et de production très importantes dans d’autres secteurs pose la question des relations entre inégalités sociales et transition écologique.
Face aux enjeux d’acceptabilité sociale de la transition, il convient donc de mettre en place un prix du carbone plus élevé pour les produits préférentiellement consommés pas les classes sociales les plus favorisées. Pourquoi, par exemple, ne pas imposer un prix de carbone dix fois plus élevé pour les jets privés que pour l’automobile ? Au niveau de 1 000 euros par tonne de CO2 évitée, on arrive dans une zone où le coût des e-kérosènes devient inférieur au prix du kérosène fossile augmenté de la taxe carbone, induisant une bascule technologique plus soutenable. Il faut faire ici un compromis entre le surcoût collectif de cette action et son impact de réduction des inégalités, favorable à l’acceptabilité sociale de la transition écologique.
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