Dans les livres d’histoire de ce premier quart de XXIe siècle, 2023 restera comme l’année des deux guerres. Aux confins nord de l’Europe, l’Ukraine résiste depuis vingt-trois mois à la poursuite de l’agression russe – les morts se comptent en dizaines de milliers, de part et d’autre. Au bord de la Méditerranée orientale, Israël écrase la bande de Gaza sous les bombes pour, dit-il, « éradiquer » le mouvement palestinien Hamas – déjà 20 000 morts, selon les autorités gazaouies. Cette campagne de Gaza, la plus mortifère jamais subie par ce territoire, répond à la tuerie de masse perpétrée, le 7 octobre, par les islamistes du Hamas : 1 200 morts dans la population israélienne.
Tragédie et misère de la guerre toujours recommencée. Pour les politologues, le défi reste le même : dessiner à grands traits le profil d’un « premier XXIe siècle » plutôt mal parti. Au fil de nos dernières lectures, voici quelques réflexions sur cette « année des deux guerres » vue par des experts et essayistes en quête d’un introuvable « système international ».
Impavide, ni pessimiste ni optimiste, Gilles Andréani s’interroge sur cette permanence de la guerre, dans un essai très riche que publie la revue Questions internationales (décembre 2023-janvier 2024). Professeur à l’université Panthéon-Assas, ancien diplomate, magistrat à la Cour des comptes, l’auteur décrypte les failles d’un « système international » né en 1945 et à la représentativité devenue obsolète. Le monde d’aujourd’hui ne ressemble pas à celui d’hier. L’ONU, structurellement, n’empêche pas la guerre, pas plus celles des forts que celles des autres.
Grands pôles de pouvoir
Depuis quinze ans, la rivalité entre la Chine, puissance montante, et les Etats-Unis, puissance établie, est l’axe central des relations internationales. Qui imposera demain sa représentation du monde ? L’Amérique est forte de ses alliances : Pacte atlantique avec l’Europe, accords de défense en Asie. En face, Pékin et Moscou ont noué une relation « d’amitié » pour lutter contre « l’hégémonisme » occidental – curieuse formulation quand on prétend, dans le même souffle, que l’Occident est tout à la fois décadent et sur le déclin… Entre ces grands pôles de pouvoir, flirtant tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre, tangue une cohorte de puissances dites moyennes mais dont l’importance ne cesse de croître.
L’inadaptation des institutions onusiennes n’est pas seule en cause. Durant la guerre froide (1947-1991), Américains et Soviétiques avaient institutionnalisé un dialogue permanent, notamment sur les armes nucléaires. On appelait cela « la détente ». Rien de tel aujourd’hui, observe Gilles Andréani : rien sur le désarmement, peu sur le climat, peu sur les pandémies – les menaces de l’époque. En revanche, un gros « dissensus idéologique » est réapparu, poursuit-il, qui isole l’Occident, porteur de « valeurs » encore ascendantes en 2000 mais aujourd’hui marginalisées.
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