LETTRE DE VARSOVIE

Les uns lui rappellent son surnom de « catho-taliban » ou d’« ayatollah de la Bible », les autres le désignent désormais comme le « traître » ou le « vendu aux libéraux gauchistes ». Le journaliste Tomasz Terlikowski, 49 ans, philosophe de formation, a eu le don – ou un certain courage – de se faire des ennemis des deux côtés de la solide barricade qui sépare la Pologne conservatrice et catholique de sa moitié libérale et laïque. Chef de file des polémistes ultra-catholiques il y a encore quelques années, son parcours l’a amené à un revirement aussi spectaculaire qu’atypique. Si ses convictions religieuses n’ont, dit-il, « pas changé », ce n’est pas le cas du regard qu’il porte sur l’institution de l’Eglise, dont il est devenu l’un des critiques les plus acerbes et les plus écoutés en Pologne.
Tomasz Terlikowski revient pourtant de loin. De 2009 à 2015, il fut le directeur de la maison d’édition ultra-catholique Fronda, puis rédacteur en chef de son portail d’information. De 2014 à 2017, il dirige la rédaction de TV Republika, une chaîne proche des milieux nationalistes les plus radicaux du débat public polonais. Son style d’alors contraste fortement avec l’érudition dont il fait preuve dans ses récents ouvrages : il manie avec peu de retenue la violence verbale et le discours de haine. En 2013, à la mort de Nelson Mandela, il écrira qu’il était un « simple communiste », « tout aussi raciste vis-à-vis des Blancs » et que, par la promulgation d’une loi libéralisant l’avortement, il s’est rendu responsable « de la mort de bien plus d’enfants noirs que les pires des racistes sud-africains ».
« Je regrette beaucoup ce que j’ai pu dire et écrire à cette époque. J’ai honte du langage que je tenais, confie-t-il aujourd’hui au Monde. Je partais du principe que, pour percer dans le vacarme du débat public, il fallait frapper fort. Depuis, j’ai compris que ce genre d’opinions tranchées peuvent profondément blesser, et qu’elles sont intolérables d’un point de vue chrétien. » Ce repentir concerne particulièrement les propos qu’il a pu tenir sur la communauté homosexuelle et trans : « Je me suis excusé publiquement à de multiples reprises et je continuerai à le faire autant que nécessaire. »
« Empathie profonde »
S’il a été l’un des premiers en Pologne à s’intéresser à la question de la pédocriminalité au sein de l’Eglise catholique, il y a une quinzaine années, c’est à partir de 2020 qu’il entame une véritable croisade sur la question. Chargé par les dominicains de diriger une commission d’enquête sur un scandale de grande ampleur au sein de cet ordre religieux, il est bouleversé par cette expérience, qui sera le point de départ de son évolution. « Mon rapport à l’institution a profondément changé. Enquête après enquête, j’ai pris conscience de l’ampleur du phénomène, de ce qu’il ne s’agissait pas, comme je le pensais avant, d’individus isolés, mais que l’institution pouvait être en soi le cadre d’un mal systémique. »
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