Il est apparu un matin au coin de la rue, et dans le village, personne ne s’en est étonné ni n’a protesté. Voilà quatre ans qu’un buste de Staline trône à un carrefour d’Okami. Parmi les 2 000 habitants de ce bourg situé à moins de 40 kilomètres de Tbilissi, la capitale, certains vouent un culte au dictateur, né dans cette ex-république soviétique. Pour contourner l’illégalité – les symboles de l’Union soviétique et du totalitarisme sont interdits –, un élu municipal l’a installé « à titre privé » devant chez lui.
Au moins douze statues et bustes de Staline sont apparus dans ce petit pays du Caucase depuis l’arrivée au pouvoir, en 2012, du parti Rêve géorgien, fondé par l’oligarque et ex-premier ministre Bidzina Ivanichvili, qui dirige le pays dans l’ombre, sans occuper, aujourd’hui, de fonction officielle. Leur multiplication n’est que la partie la plus visible et emblématique de la guerre hybride que mène la Russie depuis des années en Géorgie pour l’empêcher de se rapprocher de l’Union européenne (UE) et de l’OTAN. Mais depuis l’invasion russe de l’Ukraine, en février 2022, la mainmise de Moscou s’accélère de manière vertigineuse.
« La Russie est en train de gagner en Géorgie, constate Eto Buziashvili, chercheuse à l’Atlantic Council’s Digital Forensic Research Lab, à Tbilissi. Aujourd’hui, le gouvernement est ouvertement hostile envers l’Occident, avec un discours calqué sur celui du Kremlin. » Affaiblie en Ukraine, son influence diminuant dans le Caucase depuis la chute du Haut-Karabakh, en septembre, la Russie compte bien ne pas laisser la Géorgie lui échapper à son tour.
Le temps joue en sa faveur. « C’est une stratégie de long terme, souligne Eto Buziashvili. Moscou agit peu à peu. Et puis, un jour, vous vous réveillez et vous êtes dans l’orbite russe. » Tous les secteurs sont touchés : la vie politique, les médias, l’économie, la religion. Les troupes russes occupent déjà 20 % du territoire géorgien depuis la guerre de 2008, qui a entériné la perte des régions séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. « C’est une annexion rampante, affirme Dachi Imedadzé, de l’ONG proeuropéenne Shame Movement. L’objectif de Poutine est de faire du pays une zone grise. Ni trop prorusse – c’est trop malvenu ici – ni trop pro-occidental. »
Le drapeau européen « juste pour faire joli »
Consciente du risque, la Commission européenne a recommandé aux Vingt-Sept, le 8 novembre, d’octroyer à la Géorgie, sous conditions, le statut de candidat officiel à l’entrée dans l’UE. « Cela n’arrêtera pas Moscou, soupire Eto Buziashvili. Cela va simplement inciter le gouvernement à se présenter de nouveau comme pro-occidental auprès des Géorgiens. » Le premier ministre, Irakli Garibachvili, a déjà modifié son discours. Le parti au pouvoir, illibéral, entend capitaliser sur ce feu vert bruxellois en vue des élections législatives, à l’automne 2024.
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