On aimerait que le marquis Astolphe de Custine (1790-1857) revienne au pays de Vladimir Poutine et nous livre « La Russie en 2023 », comme il avait décrit La Russie en 1839. Près de deux siècles plus tard, il aurait encore éprouvé « le désir d’aller regarder derrière la coulisse » et « la tentation de lever un coin de la toile de fond », comme quand on lui montrait un pays sous le jour le plus flatteur, là où ne règnait que misère, corruption et terreur policière. Parti de Paris plein d’illusions sur la monarchie absolue de l’inflexible Nicolas Ier, il en était revenu dégrisé avec ce conseil : « C’est un voyage utile à tout étranger ; quiconque aura bien vu ce pays se trouvera content de vivre partout ailleurs. »
Vingt mois après avoir lancé une « opération militaire spéciale » contre l’Ukraine qui a fini par absorber toutes les ressources et les forces vives du pays, M. Poutine tente lui aussi de montrer la Russie sous ses plus beaux atours économiques. Il a tant et si bien agi pour s’adapter à son relatif isolement que l’économie fait preuve d’une étonnante résilience, malgré onze « paquets » de sanctions européennes (bientôt douze avec les diamants) et des mesures de rétorsion du G7.
Le maître du Kremlin, Janus à deux visages, prend la posture d’un homme d’Etat se montrant soucieux de maintenir son pays dans les échanges mondiaux. Il devrait être présent au sommet virtuel du G20, mercredi 22 novembre, à New Delhi. « La récession est terminée », affirme-t-il en juin dans « Ligne directe », l’émission annuelle d’échanges contrôlés avec les Russes. Dix jours plus tard, au Forum économique de Saint-Pétersbourg, il promet une « économie de l’offre », une « productivité accrue », des « salaires élevés » et un sursaut technologique. Juré, dit-il, il ne reviendra ni sur les privatisations ni sur les investissements étrangers s’ils ne viennent pas de « pays inamicaux ».
Un camouflet pour l’Europe et les Etats-Unis
En septembre, M. Poutine a reçu le soutien inattendu d’Oleg Deripaska, un des rares oligarques à avoir dénoncé l’« erreur colossale » de l’agression contre l’Ukraine, prélude à la banqueroute de l’assaillant. Dans un entretien au Financial Times, le fondateur du géant de l’aluminium Rusal – profiteur de l’effort de guerre – juge qu’« en dépit des dépenses militaires et des nombreuses subventions, le ralentissement économique est très limité ». Il se dit même « surpris par la flexibilité du secteur privé » face aux sanctions, « un instrument du XIXe siècle inefficace au XXIe siècle ».
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