Elle n’aimait pas être appelée par son prénom complet, Antonia Susan, lui préférant les simples initiales qui figurent en couverture de tous ses livres : A.S. Byatt, morte à Londres le 16 novembre à l’âge de 87 ans, était une femme pleine d’humour mais réservée, dont l’intelligence et le talent ne se perdaient jamais dans la mise en avant de sa propre personne.
Anoblie dans l’ordre de l’Empire britannique, cette romancière, essayiste, poète, critique littéraire et fervente européenne avait pourtant reçu, dans son pays, tous les honneurs qu’un écrivain peut espérer. Lauréate du Booker Prize en 1990 pour son roman Possession (Flammarion, 1993), Dame Antonia Byatt était traduite en plus de trente langues et jouissait, au sein du monde anglophone spécialement, d’une renommée exceptionnelle.
A l’origine, pourtant, celle qui était née Antonia Susan Drabble à Sheffield (Yorkshire) en 1936, a d’abord vécu, littérairement parlant, dans l’ombre de sa sœur cadette Margaret Drabble. Toutes deux diplômées d’établissements prestigieux, Oxford pour l’une et Cambridge pour la seconde, les sœurs écrivaient chacune de leur côté, mais dans des styles différents et selon des trajectoires propres. Margaret Drabble connut en effet dès le début des années 1960 un succès précoce, tandis que son aînée, alors enseignante en histoire de l’art, demeurait plus confidentielle.
« Se montrer », la voie du succès
En parallèle et durant plusieurs décennies, les deux femmes entretinrent une sorte de compétition larvée dont Antonia Byatt parlait quelquefois, laissant entendre que les origines de ce conflit, entièrement filtré par leurs textes, remontaient à l’enfance. Certaines scènes dépeintes par sa sœur la blessaient car elle entrevoyait, derrière les personnages ou même les objets décrits, une sorte de « motif dans le tapis », pour reprendre le titre de la célèbre nouvelle d’Henry James : des allusions implicites à leur passé commun dont elle seule était capable de percevoir la portée – et parfois, affirmait-elle, l’agressivité.
Est-ce pour prendre le dessus dans ce combat souterrain ? A propos de Possession, l’étincelant pastiche de roman victorien qui la propulsa sur le devant de la scène littéraire, A.S. Byatt a expliqué un jour qu’il s’agissait du seul livre écrit par elle « pour être aimé » et qu’elle avait choisi cette stratégie afin de « se montrer » – autrement dit, pour faire connaître son travail. Dans un entretien cité par le Times, elle raconte qu’elle avait volontairement rythmé son récit « en gardant à l’esprit les capacités d’attention du lecteur. » Le résultat fut à la hauteur de ses attentes, peut-être même les surpassa-t-il.
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