Jérôme Heurtaux, chercheur en science politique : « Peu nombreux sont ceux qui soutiennent à la fois les Ukrainiens et les Palestiniens »

0 Shares
0
0
0

Le retour soudain du conflit israélo-palestinien dans l’actualité a eu pour effet pervers une relégation brutale du conflit ukrainien aux marges du discours politique et de l’attention médiatique. Cet effacement est sans aucun doute provisoire, et il est d’ailleurs tout relatif, puisque celles et ceux qui sont directement concernés par la guerre en Ukraine (réfugiés, chercheurs, correspondants de guerre, diplomates, acteurs humanitaires, etc.) ne modifient pas leur attention en fonction des fluctuations de l’agenda politico-médiatique. Mais il contribue à l’empêchement d’une réflexion qui, partant de leur concomitance, s’efforcerait de penser ensemble ces deux conflits au lieu d’ignorer leur parenté, voire de les opposer, comme s’ils n’avaient rien à voir.

S’agissant du conflit en Ukraine, une position universaliste anticolonialiste, respectueuse de la souveraineté des Etats et de l’autodétermination des peuples, attachée au droit international humanitaire, vous rangerait naturellement du côté des Ukrainiens, victimes d’un crime d’agression punissable par le droit international. S’agissant du Proche-Orient, les mêmes prémisses humanistes feraient logiquement de vous un soutien au peuple palestinien, qui subit depuis plusieurs décennies une politique de colonisation et le mépris par Israël des résolutions successives des Nations unies.

A lire ce qui s’écrit et à écouter ce qui se dit dans les espaces publics de plusieurs pays européens, comme dans certaines régions du Maghreb et du Sud, ces deux positionnements s’opposent souvent.

Alignements croisés

Les voix propalestiniennes les plus fortes, en France comme ailleurs, ne disent mot de l’Ukraine, quand elles n’interrogent pas, suspicieuses, la légitimité de la résistance ukrainienne, inversant le rapport de la victime et du bourreau. D’un autre côté, parmi les Etats, responsables politiques et intellectuels qui défendent l’Ukraine, beaucoup ignorent la cause palestinienne, quand ils ne soutiennent pas le droit d’Israël à se défendre en bombardant et en intervenant à Gaza, donc à perpétrer de facto des massacres de civils, c’est-à-dire au minimum des crimes de guerre, comme le sont ceux commis par les Russes.

Peu nombreux sont finalement ceux qui, en raison de principes universels, s’aventurent à soutenir et les Ukrainiens et les Palestiniens, compte tenu des implications qu’un tel positionnement peut représenter. Des intellectuels et militants propalestiniens ne se risquent pas à soutenir le peuple ukrainien assiégé par peur de se retrouver dans un camp occidental qui serait imprégné de colonialisme refoulé et qui plus est dominé par des Etats-Unis, premier soutien politique, financier et militaire d’Israël. Des intellectuels et militants pour l’Ukraine se taisent, quant à eux, au sujet de causes qui sont par ailleurs soutenues avec force par la Russie de Poutine ou la Chine de Xi Jinping.

Il vous reste 55% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

source

0 Shares
Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

You May Also Like