Un journaliste sicilien ciblé par la mafia libyenne

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Nello Scavo à Conselice (Italie), le 1er octobre 2022.

Lorsque nous retrouvons Nello Scavo à son hôtel début novembre, il nous confie être « assez tranquille ». Le matin, trois policiers l’attendaient à la gare Termini, à Rome, à la sortie de son train en provenance de Milan. Depuis 2019, ce journaliste sicilien de 51 ans vit sous escorte policière pour avoir reçu des menaces de mort après la publication dans le quotidien l’Avvenire de ses enquêtes sur les trafics de migrants.

Cette année-là, il révèle qu’une délégation libyenne est venue en Italie en toute discrétion, en 2017. L’un des hommes s’appelle Abd al-Rahman Salem Ibrahim al-Milad, alias al-Bija, chef des « gardes-côtes » de Zaouïa, à l’est de Tripoli. Sa milice tient des camps de rétention où les migrants subissent les pires tortures. C’est pourtant à lui que le pays va fournir des navires afin de refouler les migrants côté libyen. Nello Scavo détaille la rencontre. Le scoop fait rapidement le tour du pays, sans grandes réactions de la part des autorités.

En janvier 2023, pourtant, le ministre de la justice, Carlo Nordio, répondant à une question d’un parlementaire, parle de « mafia libyenne ». Presque un lapsus. Ou la reconnaissance involontaire du travail de Scavo. C’est en effet la première fois qu’un membre du gouvernement utilise cette expression. L’enquêteur décrit la scène dans Le mani sulla Guardia costiera (« Main basse sur la garde côtière », Chiarelettere, non traduit).

Dans ce livre paru en octobre, le journaliste dénonce les compromissions de la politique italienne (de droite comme de gauche) avec les réseaux de traite de migrants. Il exprime son incompréhension face à des autorités italiennes qui signent des accords avec une Libye livrée aux milices, alors que le Conseil de sécurité de l’ONU a inscrit al-Bija sur sa liste de sanctions et que son nom figurerait dans un des mandats d’arrêt lancés par la Cour pénale internationale concernant les crimes commis en Libye contre les migrants.

Le catholicisme social contre la Mafia

Au fil de ses enquêtes, Nello Scavo est devenu l’une des plumes les plus respectées d’Italie. Né à Catane, à l’est de la Sicile, il passe son enfance à Scordia, un village connu pour ses champs d’orangers, avec l’Etna pour horizon. C’est à 19 ans qu’il fait ses premières armes au quotidien local La Sicilia. « Ma formation est peu académique, j’ai tout appris sur le terrain », raconte-t-il en sirotant un thé vert.

La Sicile des années 1990 est un terrain de sang et de larmes. En trois mois, Cosa Nostra, la Mafia sicilienne, a assassiné soixante-dix personnes, rien qu’à Catane. « Ça a été une véritable épreuve du feu », se souvient-il. Comme beaucoup d’adolescents de l’époque, Nello Scavo a grandi dans ce réseau de paroisses et d’associations de jeunes qui font la force du catholicisme social italien, des structures très engagées dans la lutte contre la Mafia.

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