LETTRE DE BANDA ACEH
Chaque vendredi en fin de matinée, Banda Aceh, la capitale de la province d’Aceh, en Indonésie, se vide : les commerçants abaissent les rideaux de fer ou placent de petites barrières devant les boutiques. La circulation s’arrête et le silence tombe sur cette ville plate dont les immeubles ne peuvent dépasser le minaret de la Grande Mosquée Baiturrahman. Seul retentit le chant du muezzin : c’est l’appel à la grande prière publique du vendredi midi. La Wilayatul Hisbah (la police de la charia), composée de femmes en uniforme – seuls les hommes doivent prier à la mosquée –, circule dans de petites camionnettes pour houspiller les rares récalcitrants.
La province d’Aceh et ses 5,4 millions d’habitants, dans le nord de l’île de Sumatra, est la seule en Indonésie, pays de 260 millions d’individus, dont 87 % de musulmans, à appliquer la charia, la loi coranique. Les tribunaux islamiques punissent de coups de canne un certain nombre de « délits de mœurs » qui comprennent l’adultère, le viol, le harcèlement sexuel, les relations sexuelles hors mariage, l’homosexualité, les paris illégaux, la vente et la consommation d’alcool. Le nombre de coups, dispensés en public, varie entre dix et cent cinquante.
Dans ce pays séculier régulièrement traversé par des poussées d’islamisme, les Acehnais font figure de gardiens du temple : conservateurs et pieux, ils revendiquent leur attachement très ancien à l’islam – c’est par cette terre d’échanges entre commerçants asiatiques, indiens et arabes que la religion du prophète aurait pénétré en Asie du Sud-Est au XIIe siècle – et ont fait de la charia un marqueur de leur particularisme.
Aceh obtient le droit de la mettre en œuvre en 2001, une branche d’olivier tendue par le gouvernement central alors que l’armée combat une guérilla autonomiste, le Mouvement pour un Aceh Libre (GAM), depuis 1976. Mais il faudra attendre les accords de paix d’août 2005, huit mois après qu’un tsunami a dévasté la province, pour qu’un code pénal islamique soit progressivement mis en place dans le cadre du nouveau statut d’autonomie accordé à Aceh.
Non sans débats : le premier gouverneur élu d’Aceh, le progressiste Yusuf Irwandi, issu du GAM, met son veto à la lapidation en 2009. Lors d’un second mandat, écourté en 2018 après une condamnation pour corruption, il va tenter, cette fois en vain, d’imposer le huis clos pour les coups de bâton. En face, un parti rival, lui aussi issu du GAM, plus conservateur et actuellement majoritaire au parlement local, a eu tendance à renforcer la portée de la loi islamique.
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