Le rabbin Arik Ascherman a été arrêté par l’armée israélienne au quatrième jour de la guerre, le 10 octobre, en Cisjordanie occupée. La justice lui a interdit durant deux semaines de se rendre dans les territoires. Le 31 octobre, ce vieux militant contre l’occupation israélienne arpentait de nouveau, avec son bâton et ses godillots, les collines lunaires qui s’étendent au sud d’Hébron. Il y protège des bergers palestiniens des violences de colons israéliens, ses concitoyens. Il dresse contre eux son grand corps sec. Depuis des décennies, il a l’habitude de prendre des coups pour les autres. Mais il ne s’est jamais senti si seul.
Après l’attaque menée par le Hamas, le 7 octobre, de jeunes camarades israéliens ont cessé de lui prêter main-forte. Ils ont été mobilisés par l’armée. Ils portent le deuil d’amis ou de parents tués dans les kibboutz marqués à gauche des alentours de la bande de Gaza. Certains sont déboussolés, comme tout Israël : une même rage les dévore. D’autres ont peur des colons, qui déchaînent une violence inédite en Cisjordanie, profitant de la guerre à Gaza pour dépeupler des collines entières de leurs habitants. « Parfois, je me demande si les fanatiques des deux bords ne se rassemblent pas, la nuit, pour trouver ensemble des moyens de prolonger ce conflit », dit en soupirant le rabbin Ascherman.
Comme ce sexagénaire, jamais la gauche israélienne n’a paru si fragile, si inaudible. Avant le 7 octobre, elle incarnait la mauvaise conscience d’un pays qui tâchait d’oublier sa guerre avec les Palestiniens, et qui y parvenait bon an mal an. Cette « cinquième colonne », dénoncée par le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, s’abîme aujourd’hui dans une crise de conscience. Elle se déchire, à l’heure où chacun est sommé de choisir son camp.
Voilà trois semaines que Lubna Masarwa coupe ses liens, sur les réseaux sociaux, avec quantité d’anciens amis juifs, dont les déclarations patriotiques et militaristes l’effraient. Cette Palestinienne citoyenne d’Israël (comme 20 % de la population du pays), originaire d’un village rural du Nord, naviguait avant-guerre au sein de la gauche juive et arabe de Jérusalem, où elle dirige le bureau du site d’information Middle East Eye. Elle estime que le Hamas a renversé, le 7 octobre, un schéma bien établi dans son camp, qui fait de l’Etat israélien l’oppresseur, des Palestiniens ses victimes, et des belles âmes juives de gauche leurs sauveurs, défenseurs du droit et de la morale.
« De bonnes victimes »
« Ils venaient chercher des enfants palestiniens aux points de contrôle de l’armée, aux frontières de la Cisjordanie, pour leur faire prendre un bain de mer en Israël ou pour voir un médecin, dit Mme Masarwa de ses anciens amis. Tout restait dans l’ordre tant que nous étions de bonnes victimes, des Arabes reconnaissants. Mais, le 7 octobre, pour un jour, des Palestiniens ont combattu de cette horrible façon, et cela a bouleversé leurs certitudes. »
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