Le même drapeau, la même cause, la même affection, le même ennemi. De Tripoli à Casablanca en passant par Tunis et Alger, la rue maghrébine s’est enfiévrée à l’unisson en faveur de la Palestine à l’heure des bombardements israéliens intenses sur la bande de Gaza.
Les couleurs palestiniennes ont flotté sur d’immenses cortèges exprimant leur « solidarité » avec les Gazaouis victimes de « génocide », leur colère contre l’« ennemi sioniste » et « la complicité de l’Occident ». Depuis l’éclatement le 7 octobre de la guerre entre le Hamas et Israël, le Maghreb des peuples communie dans la même émotion.
Si elle n’est pas sans précédent – les foules s’étaient aussi mobilisées en soutien aux intifadas palestiniennes de 1987 et 2000 ou contre l’intervention américaine en Irak de 2003 –, cette union des populations de la région autour d’un même imaginaire tranche crûment avec la désunion de leurs Etats, plus profonde que jamais. Schisme au sommet, fusion de la base.
Le Maghreb uni s’impose dans la rue – sur un mode certes plus psychologique que politique – à défaut de se forger dans les états-majors. Avec la Palestine, le football catalyse cette même aspiration à transcender les fractures nationales. Au cours du Mondial au Qatar fin 2022, le public algérien avait applaudi les victoires de l’équipe marocaine, alors qu’au même moment la tension diplomatique entre Alger et Rabat était à son comble.
Profonde discorde entre Alger et Rabat
Le contraste est assurément saisissant avec un Maghreb des Etats fragmenté, en proie aux rivalités. On savait l’utopie d’une région solidaire – l’ancêtre du nationalisme algérien ne s’appelait-il pas l’Etoile nord-africaine ? – bel et bien enterrée au lendemain des indépendances, une fois écarté l’ennemi commun du colonialisme français.
Des structures avaient néanmoins été mises en place, témoins d’une volonté de maintenir un dialogue interétatique. Ce fut le cas de l’Union du Maghreb arabe (UMA), créée en 1989 par le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie. Dotée d’un secrétariat général basé à Rabat, l’organisation végète dans l’impuissance. Son dernier sommet remonte à… 1994.
Le Maghreb uni des Etats n’aura pas survécu à la grande discorde entre Alger et Rabat. D’abord cristallisée autour de leur contentieux frontalier (la « guerre des sables » de 1963) – héritage empoisonné du tracé de l’Algérie française –, la rivalité a été relancée depuis 1975 autour du conflit du Sahara occidental, ancienne colonie espagnole dont le Maroc s’est rendu maître à 80 %.
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