Ils sont six jeunes Portugais âgés de 11 à 24 ans et déterminés à prouver que l’« inaction climatique » a des conséquences sur leur santé et leur conditions de vie. A leur demande, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) se penche, mercredi 27 septembre, sur les émissions de gaz à effet de serre de trente-deux Etats. Le dossier, arrivé devant la CEDH en 2020, a bénéficié d’un traitement prioritaire.
Les requérants reprochent aux vingt-sept Etats de l’Union européenne ainsi qu’à la Russie, la Turquie, la Suisse, la Norvège et le Royaume-Uni de ne pas respecter les engagements qu’ils ont pris dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat. Le texte de 2015 visait à limiter la hausse des températures à 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle.
Ces jeunes assurent que « l’inaction climatique » a des conséquences sur leur vie et que cela constitue une violation notamment du « droit à la vie » et du « droit au respect de la vie privée » inscrits dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
« Sans une action urgente pour réduire les émissions, l’endroit où je vis deviendra bientôt une fournaise insupportable », soutient Martim Duarte Agostinho, 20 ans, qui a donné son nom au dossier. « Cela me fait mal de savoir que les gouvernements européens pourraient faire bien plus pour empêcher cela et choisissent de ne pas le faire. »
Lui et les cinq autres plaignants ont entamé la procédure pour saisir la cour après avoir vécu de près les incendies qui ont brûlé des dizaines de milliers d’hectares et fait plus de 100 morts dans leur pays, le Portugal, en 2017.
Leur démarche « pourrait représenter une avancée décisive en matière de litiges climatiques », estime Catherine Higham, chercheuse en sciences politiques à la London School of Economics. « En cas de succès, les gouvernements devront changer de cap et réduire leurs émissions plus rapidement pour montrer qu’ils se conforment à la décision. »
Une affaire à la « David contre Goliath »
Au siège de la CEDH, à Strasbourg, plusieurs dizaines d’avocats et juristes sont attendus pour défendre la cause des Etats face aux six jeunes gens, qui, de leur côté, n’ont pas manqué de solliciter le soutien d’ONG et de militants de la cause écologique un peu partout en Europe.
« C’est une affaire à la David contre Goliath », se plaît à comparer Gearoid O Cuinn, directeur de l’ONG britannique Global Legal Action Network (Glan), qui accompagne et défend les six plaignants. « C’est une affaire sans précédent par son ampleur et par ses conséquences. »
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Mais, avant de se prononcer sur le fond, la Cour examinera en premier lieu la recevabilité de la requête, selon des critères stricts qui valent chaque année à de nombreux dossiers d’être retoqués. Et dans cette procédure inédite, notamment par le nombre d’Etats concernés, la question devrait être vivement débattue.
La CEDH exige habituellement que les requérants aient épuisé les voies de recours devant les tribunaux nationaux avant de se tourner vers elle. Or ici, les six plaignants ont directement saisi l’institution : conduire des procédures distinctes dans chacun des trente-deux pays concernés représenterait, selon eux, une « charge excessive et disproportionnée », dont ils se sont donc dispensés.
Si le dossier est jugé recevable, alors la décision, attendue au mieux en 2024, sera scrutée : la jurisprudence de la cour en matière de réchauffement climatique est encore vierge. Dans leur démarche, les plaignants ont aussi attiré l’attention de la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic, qui a adressé des observations à la cour. Elle estime que les juges doivent « apporter une protection concrète aux personnes qui subissent les conséquences du changement climatique ».
Deux premiers dossiers climatiques visant la Suisse et la France ont été examinés en mars par la CEDH, qui ne s’est pas encore prononcée. Aux Etats-Unis, cet été, de jeunes Américains originaires de l’Etat du Montana remportaient une victoire historique en matière d’« inaction climatique ». Une juge avait déclaré inconstitutionnelle une loi interdisant à l’administration locale de prendre en compte les conséquences des émissions de gaz à effet de serre sur le climat lorsqu’elle doit accorder ou non des permis à des entreprises d’énergies fossiles.