Le pape et les migrants, un rappel bienvenu à l’humanité

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Parce qu’ils sont détachés des préoccupations temporelles, des hommes de foi peuvent parfois énoncer des vérités interdites aux politiques, esquisser des perspectives utopiques, provoquer un sursaut, et même personnifier un moment charnière. Impossible de dire si l’appel au « devoir de civilisation » pour secourir les migrants menacés de noyade, lancé par le pape François, vendredi 22 septembre à Marseille, face à la Méditerranée, aura un retentissement comparable au « N’ayez pas peur ! » de Jean Paul II en 1978, interprété comme un défi au régime soviétique.

Cette fois, le message, délivré depuis l’admirable site de Notre-Dame de la Garde, veut bousculer non seulement les catholiques français et européens, mais les opinions publiques et les gouvernements, à un moment crucial : celui où le « fanatisme de l’indifférence » dénoncé par le pape menace de submerger le « devoir d’humanité ».

Elu depuis quelques mois, le pape François s’était rendu, en juillet 2013, sur l’île italienne de Lampedusa, après une tragédie maritime de l’immigration, afin de dénoncer « la mondialisation de l’indifférence » qui « habitue à la souffrance des autres ». Dix ans plus tard, 30 000 migrants sont morts, et la Méditerranée est devenue « le plus grand cimetière du monde ». Les actions de sauvetage des organisations non gouvernementales sont critiquées, l’Union européenne se replie, et peine à coordonner les politiques de ses Etats membres, où la xénophobie montante ne cesse d’être instrumentalisée.

Prononcé devant les édiles marseillais et les représentants de toutes les confessions dans un style simple et direct, le discours papal reprend avec force tous les éléments des nombreux appels à la « responsabilité fraternelle » avec les migrants, à la compassion, à l’hospitalité et au refus de l’indifférence dont il a jalonné son pontificat. Bien au-delà d’un message aux croyants, c’est un pavé dans la mare des gouvernants européens, à commencer par l’exécutif français, lancé quelques jours après un nouvel afflux de migrants à Lampedusa, la réponse peu convaincante de l’UE et, singulièrement, le refus catégorique de tout accueil d’immigrés, par le ministre de l’intérieur français, Gérald Darmanin.

Le pape François, en invitant les dirigeants européens à « cesser d’avoir peur des problèmes que la Méditerranée nous pose », au moment où « notre survie en dépend », fait, à juste titre, de l’accueil des migrants et du sauvetage des embarcations en péril le marqueur du respect des valeurs de civilisation dont se réclame l’Europe. En les relativisant, des responsables politiques sapent les fondements qui permettent au continent de rayonner dans le monde.

Courageux, fin politique et habile communicant, François prend à revers son hôte, Emmanuel Macron, qui compte bénéficier du prestige de la visite papale, tout en utilisant son étape marseillaise pour s’adresser à tous les Européens. Ironie de la situation, le discours généreux du pape argentin, petit-fils d’immigrés italiens, est fait pour ravir la gauche, y compris la plus anticléricale.

Reste à concilier le spirituel et le temporel, le message humaniste, fondamental, et la gestion de réalités internationales fort complexes, à faire coexister le « droit de ne pas avoir à émigrer » défendu en d’autres occasions par le pape, et qui implique les pays d’origine, et la possibilité de chercher en Europe un avenir meilleur. En attendant, ce rappel à l’ordre profondément humain apporte, à contre-courant, une bouffée d’air bienvenue dans un débat sur les migrations menacé par l’indifférence, voire par le cynisme.

Le Monde

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