La géographie et les réalités humaines des migrations ont leurs raisons que la démagogie politique feint souvent d’ignorer. Alors que Giorgia Meloni, présidente du conseil italien, est arrivée à la tête du pays voici près d’un an en promettant la « fermeture des frontières », l’Italie a accueilli plus de 127 000 migrants depuis le mois de janvier, soit deux fois plus que sur la même période en 2022. Dimanche 17 septembre, sur l’île de Lampedusa, où 11 000 migrants ont débarqué en quelques jours, la même Mme Meloni qui défiait l’Union européenne (UE) avant d’arriver au pouvoir a qualifié la présence à ses côtés d’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, de « geste de responsabilité de l’Europe envers elle-même ».
Alors qu’en Hongrie ou en Pologne les amis politiques de Giorgia Meloni font tout pour entraver le mécanisme de « solidarité obligatoire » laborieusement négocié par les Vingt-Sept, la cheffe du gouvernement italien en appelle à cette solidarité européenne. La carte de l’Europe est ainsi faite que les migrants l’abordent principalement par la Grèce, l’Espagne et, surtout, ces temps-ci, par l’Italie. Logiquement, ces pays situés en première ligne sont les plus demandeurs d’une politique européenne de partage des charges liées à l’accueil et à l’instruction des demandes d’asile. A l’inverse, les pays qui, comme la France, l’Allemagne – ou plus encore les pays de l’Est –, ne sont que des pays de « rebond » y sont plus réticents.
Or les scènes de chaos diffusées mercredi 13 septembre, montrant des policiers repoussant des migrants et un centre d’accueil débordé par l’afflux d’hommes affamés, ne font que le confirmer : l’UE doit impérieusement se doter d’une politique coordonnée d’immigration. Que Giorgia Meloni, leader d’une formation d’extrême droite, se soit ralliée de fait à cette exigence et s’affiche aux côtés de Mme von der Leyen constitue un avertissement fort à un an d’élections européennes où, dans plusieurs pays, les partis d’extrême droite anti-européens rivalisent de fermeté contre l’immigration et rêvent d’entraîner la droite.
Accorder paroles et actes
La présidente de la Commission européenne a raison d’affirmer que « la question de l’immigration irrégulière a besoin d’une réponse européenne ». De son côté, Emmanuel Macron, lui aussi, parle vrai en estimant que « les approches strictement nationalistes ont leur limite » et en appelant à un « devoir de solidarité européenne » avec l’Italie. Restent à accorder les actes avec ces belles paroles après trop d’épisodes où les pays du sud de l’Europe ont été livrés à eux-mêmes.
La tâche n’est pas facile. La stratégie qui consiste à financer les pays du Maghreb pour qu’ils préviennent les départs de leurs côtes est critiquable en ce qu’elle attise la corruption et fait dépendre le contrôle des frontières de l’UE de pays autoritaires. L’afflux de migrants en provenance de Tunisie, pays avec lequel l’Union vient de signer un accord de ce type sous la pression de Mme Meloni, en montre aussi les limites.
Mais l’Europe ne peut plus se permettre d’attendre. Le pacte sur l’asile et la migration, en discussion depuis quatre ans, prévoit une répartition des demandeurs d’asile entre les Vingt-Sept ou, à défaut, une contribution financière. Finalement adopté en juin, cet ensemble de textes doit encore faire l’objet d’arbitrages. Que l’Union européenne progresse enfin sur la voie d’une solidarité au sujet des migrations constituerait un signe fort avant les élections européennes de 2024, à l’adresse des forces politiques qui se délectent de son impuissance tout en prônant des « solutions » à la fois vaines et inacceptables.