L’incertitude continue de peser sur le bilan du cyclone Daniel qui a frappé en Cyrénaïque, dans l’est de la Libye, dans la nuit du 10 au 11 septembre, la ville côtière de Derna, provoquant la rupture de deux barrages et des inondations diluviennes. Sur les cent mille habitants de la cité, plus de trente mille ont pu se réfugier dans des zones plus sûres, mais restent sans abri, tandis que le nombre de morts, déjà supérieur à trois mille, ne cesse de grimper du fait des milliers de disparus.
Il faut sans doute remonter au tremblement de terre de 365 pour que la Cyrénaïque ait été frappée par une catastrophe d’une telle ampleur. Derna est alors signalée, dans la Géographie de Ptolémée et sous le nom de Darnis, comme la frontière orientale de la Cyrénaïque. Et c’est en 366 que les chroniques locales mentionnent la nomination d’un évêque à Darnis par l’archevêque d’Alexandrie.
L’acte fondateur des « marines »
Derna est rattachée, au VIIe siècle, à la province de Barqa, ainsi qu’est islamisée la Cyrénaïque. Il s’agit d’un port relativement prospère sur la route des caravanes entre le Maghreb et l’Egypte. Les Ottomans, qui s’emparent de la Libye actuelle en 1517, décident de gérer l’ensemble de cet immense territoire à partir de Tripoli. Une dynastie locale de beys, les Karamanlis, supplante en 1711 la lointaine Constantinople afin d’établir une « régence de Tripoli », très active dans la course anti-occidentale. Les Etats-Unis, devenus indépendants de la Grande-Bretagne en 1783, ont de ce fait perdu la protection de la flotte britannique en Méditerranée. Ils négocient âprement avec les émissaires des Karamanli le versement d’un tribut qui garantit la libération de leurs compatriotes emprisonnés par les autorités libyennes. L’affaire fait grand bruit aux Etats-Unis, où elle oppose John Adams, successeur de Washington à la tête du pays en 1797, à Thomas Jefferson, élu président en 1801 et adepte de la « manière forte » envers la Libye.
Le président Jefferson lance en 1801, contre Tripoli, la première expédition de cette « guerre barbaresque » (Barbary War). Mêlant blocus de Tripoli, bataille navale et bombardements ponctuels, cette expédition n’est pas plus efficace que les deux suivantes, lancées en 1803 et 1804. Jefferson décide alors une nouvelle stratégie, inventant, sans en être conscient, le « changement de régime » (regime change), appelé à devenir si populaire chez ses lointains successeurs à la Maison Blanche. Un corps expéditionnaire est en effet assemblé en Egypte, sous le prétexte d’installer, sur le trône de Tripoli, Hamet Karamanli, le frère de Youssouf Karamanli, le bey au pouvoir. La troupe hétéroclite, composée de militaires américains, de partisans du prétendant et de divers mercenaires, franchit la frontière libyenne pour rejoindre, en 1805 à Derna, les unités débarquées des vaisseaux américains qui bombardent la ville. C’est l’acte fondateur des marines, ainsi que ces commandos d’infanterie de marine sont désormais désignés.
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