En 1815, en marge de la défaite de Napoléon, le triomphe de la diplomatie à Vienne

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Le 18 juin 1815, aux environs de midi, un homme bien mis sort des murs de Gand, un exemplaire des Commentaires sur la guerre des Gaules, de Jules César, à la main, pour une promenade studieuse à travers champs. Alors qu’il se trouve à plus d’une lieue (environ 5 kilomètres) de la ville, il entend comme un grondement au loin. « Je prêtai l’oreille ; je n’entendis plus que le bruit d’une poule d’eau dans les joncs et le son d’une horloge de village. Je poursuivis ma route : je n’avais pas fait trente pas que le grondement recommença. » Non, le tonnerre qu’on perçoit au loin n’est pas un orage.

Le gentilhomme s’arrête, s’appuie contre le tronc d’un arbre et attend. « Cette grande bataille, encore sans nom, dont j’écoutais les échos au pied d’un peuplier et dont une horloge de village venait de sonner les funérailles inconnues, était la bataille de Waterloo, poursuit-il. Auditeur silencieux et solitaire du formidable arrêt des destinées, j’aurais été moins ému si je m’étais trouvé dans la mêlée. Le péril, le feu, la cohue de la mort ne m’eussent laissé le temps de méditer ; mais seul sous un arbre dans la campagne de Gand, comme le berger des troupeaux qui paissaient autour de moi, le poids des réflexions m’accablait. »

Ainsi François-René de Chateaubriand, car c’est de lui qu’il s’agit, se met-il en scène lorsque vient l’heure de raconter « sa » bataille de Waterloo, dans ses Mémoires d’outre-tombe (1849). Partisan du roi Louis XVIII, qui a fui la France sans gloire après l’invraisemblable retour de Napoléon de l’île d’Elbe, trois mois plus tôt, l’écrivain-diplomate a tout à perdre. Que l’empereur triomphe, et c’en est fini de toutes ses ambitions politiques. Que ses armées soient vaincues par les Anglais et leurs alliés prussiens et néerlandais, c’est son pays qui se trouvera à genoux. Dans les deux cas, c’est une catastrophe. Alors, il se tient à distance et il attend, tandis qu’au loin se joue le sort de l’Europe.

Bientôt parvient un messager qui l’informe de la victoire des armées de Napoléon. Aussi Chateaubriand décide-t-il de retourner à Gand, où le roi et son entourage préparent déjà leur fuite. « Le fourgon des diamants de la couronne était attelé ; je n’avais pas besoin de fourgon pour emporter mon trésor », note-t-il ironiquement. Ce n’est que bien plus tard, à 1 heure du matin, que la vérité éclate : « Bonaparte n’était point entré dans Bruxelles ; il avait décidément perdu la bataille de Waterloo. »

L’épopée impériale est finie, la carrière de l’écrivain est sauvée. Dans le camp royaliste, l’euphorie est à la mesure de la panique qui s’était emparée de tous quelques heures plus tôt. Nettement moins lyrique que son époux, Mme de Chateaubriand constate, cruelle : « L’abattement avait été complet ; la jactance revint avec le succès des alliés. Les préparatifs de départ commencés pour Amsterdam furent achevés pour Paris. »

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