Les rêves brisés de réconciliation au Sri Lanka

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Manifestation demandant au gouvernement d’intervenir pour empêcher le braconnage de pêcheurs indiens, à Colombo, le 23 février 2022.

Le village de Valvettithurai est écrasé par la chaleur. Quelque 38 °C à l’ombre en cette mi-juillet, dans le district de Jaffna, dans l’extrême nord du Sri Lanka, quand le sud de l’île est déjà passé sous le régime de la mousson. Sous un soleil brûlant, les pêcheurs finissent de vider leurs filets sur la plage, aidés par quelques femmes. Ils ont passé la nuit en mer, sur leurs embarcations traditionnelles, tout juste assez grandes pour accueillir deux hommes. Les paniers débordent de sardines, mais Rasenthiram Mathiyalahan se plaint de la diminution des prises. Il ramène 40 kilos de poissons. Il en pêchait le double il y a quelques années. « Dans les pires jours, on n’a pas assez pour faire un curry pour la famille », explique-t-il, la peau burinée et les lèvres rougies par le bétel. Il a 47 ans et deux enfants à charge.

Lire aussi (2022) : Article réservé à nos abonnés Sri Lanka, violences et crimes sur l’« île resplendissante »

La pêche et l’agriculture sont les deux principales activités de la province. Et la première est devenue incertaine et dangereuse depuis que des bateaux indiens ont investi les eaux territoriales sri-lankaises illégalement. Chaque jour, des dizaines de gros chalutiers équipés de puissants moteurs, venant de l’Etat du Tamil Nadu situé juste en face, de l’autre côté du détroit de Palk, viennent braconner en pratiquant un chalutage profond, très destructeur pour les fonds marins riches en coraux.

Le 8 juillet, la marine et les gardes-côtes sri-lankais ont encore interpellé deux chalutiers indiens au large de l’île de Delft et arrêté quinze pêcheurs. Les bateaux ont été remorqués jusqu’au port de Kankesanthurai, où gisent déjà des dizaines de vaisseaux. Depuis le début de l’année, douze bateaux venus de chez le grand voisin du Sri Lanka ont rejoint le cimetière marin et soixante-quatorze pêcheurs ont été arrêtés. De là, l’Inde est presque visible à l’œil nu, distante d’à peine 32 kilomètres à travers le détroit.

Pêche illégale des Indiens

Les pêcheurs sri-lankais sont doublement pénalisés par cette pratique illégale. Les ressources halieutiques s’épuisent, et leurs matériels sont régulièrement détruits ou abîmés par les chaluts métalliques des Indiens. « J’ai dû acheter trois nouveaux filets et, à chaque fois, je dois m’endetter. La banque ne veut plus me prêter d’argent, j’ai eu recours à un particulier à un taux prohibitif et j’ai mis en gage tous les bijoux de ma femme. Je n’ai jamais reçu un centime de compensation du gouvernement. Le gouvernement nous traite comme des sous-citoyens », s’emporte Rasenthiram Mathiyalahan.

Les cinquante mille familles de pêcheurs que compte la province du Nord demandent en vain des compensations au gouvernement de Colombo pour les dommages subis. « Les salaires des pêcheurs du Nord ont été divisés par deux et le gouvernement ne fait rien. En 2018, il s’est doté d’une législation bannissant le chalutage profond, mais il ne l’a jamais mise en œuvre, explique Annalingam Annarasao, président du syndicat de pêcheurs de l’île de Kayts. Les Indiens continuent de piller nos ressources. Si on continue comme cela, le Sri Lanka devra bientôt importer du poisson. »

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