Comme plusieurs centaines de réservistes israéliens ces derniers jours, le colonel P., ancien d’une prestigieuse unité de renseignement technologique, a annoncé, la semaine dernière, à son commandant qu’il cessait immédiatement de se porter volontaire pour y servir. « J’avais les larmes aux yeux en envoyant ce message », raconte cet officier de haut rang, qui a quitté l’armée en 2020, à 44 ans, et demeurait régulièrement appelé à assurer des fonctions au sein de son unité.
Son geste va à l’encontre de l’éthique, de l’identité même d’une « armée populaire » sacralisée en Israël, dont les corps d’élite dépendent de façon importante de leurs réservistes. Le colonel en fait un acte patriotique : il entend « préserver Israël en tant que démocratie libérale ». Avec d’autres anciens du renseignement, des commandos et de l’armée de l’air, il cherche à dissuader le gouvernement d’imposer une réforme de la justice qualifiée par ses opposants de « coup d’Etat », qui plonge le pays, depuis janvier, dans une crise existentielle interminable.
Jeudi 20 juillet, dans une adresse télévisée aux heures de grande audience, le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, a une nouvelle fois défendu un projet de loi que le Parlement doit voter lundi en dernière lecture, et qui priverait la Cour suprême de l’un de ses principaux moyens de supervision de l’exécutif.
Les juges ne pourraient plus s’opposer à ses décisions, à ses nominations et au renvoi de hauts fonctionnaires, en les jugeant « déraisonnables ». La procureure générale du pays est désignée comme la première cible. Ce texte n’est que la partie émergée d’une réforme plus vaste, qui ambitionne de bouleverser l’équilibre des pouvoirs au profit de l’exécutif.
Des ministres de M. Nétanyahou, issus de l’extrême droite messianique, ont promis de remodeler enfin à leur convenance, à l’automne, le comité chargé de nommer les juges de la Cour suprême. M. Nétanyahou, quant à lui, assure qu’il cherchera, durant l’été, un consensus avec les partis d’opposition.
Jeudi soir, le premier ministre, dont le procès pour corruption dure depuis 2020, a eu des mots durs pour les réservistes qui suspendent leur service. « Lorsque des figures de l’armée tentent de menacer de dicter sa politique au gouvernement, cela est inacceptable en démocratie, et s’ils parviennent à appliquer leurs menaces, c’est la fin de la démocratie », a-t-il tonné.
M. Nétanyahou est instruit par un précédent. Dès mars, le colonel P. et d’autres réservistes avaient averti qu’ils ne serviraient plus si la réforme, dans son état de l’époque, était adoptée. Cette première vague avait suffisamment alarmé l’état-major pour que le ministre de la défense, Yoav Galant, s’exprime contre ces premiers projets de lois. M. Nétanyahou avait annoncé son renvoi. Des manifestations spontanées et une grève générale l’avaient contraint à revenir sur cette décision et à décréter une « pause » dans la réforme, afin de consulter l’opposition.
Il vous reste 66.66% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.