
Les députés sénégalais ont adopté, jeudi 20 juillet au soir, une loi supprimant un tribunal spécial anticorruption qui n’a pas, selon le gouvernement, « permis d’endiguer la criminalité économique et financière » et était décrié par les opposants comme une juridiction créée pour les « mater ». La Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) sera remplacée par un Pool judiciaire financier (PJF) comprenant notamment un parquet « spécialement compétent » sur la criminalité financière et formé de magistrats spécialisés. Le projet de loi a été approuvé par plus de 120 députés sur les 165 que compte l’Assemblée nationale. La nouvelle loi doit être promulguée par le chef de l’Etat.
Le ministre de la justice, Ismaïla Madior Fall, a salué « un progrès juridictionnel » avec le PJF, un nouveau dispositif qui « modernise » la lutte contre la criminalité financière, laquelle « s’est complexifiée », d’où, selon lui, les « difficultés » rencontrées par la CREI à cause d’un manque « de ressources humaines, de moyens et de magistrats spécialisés ». La quasi-totalité des députés intervenus se sont réjouis de la suppression de la CREI. Ceux de l’opposition ont critiqué une cour qui rendait une « justice politique » et a été utilisée pour « mater des opposants », ce que nient les autorités.
Des parlementaires sont longuement revenus sur les cas de deux figures de l’opposition, Karim Wade et Khalifa Sall, empêchés de participer à l’élection présidentielle de 2019 à cause de condamnations de la CREI.
Condamnés et graciés
Karim Wade, fils de l’ex-président Abdoulaye Wade (2000-2012), a été condamné en 2015 à six ans de prison ferme pour enrichissement illicite. Ancien ministre d’Etat sous le régime de son père, il a été gracié en 2016 par le président Macky Sall et est depuis exilé au Qatar.
Khalifa Sall, maire de Dakar à partir de 2009, a été reconnu coupable du détournement d’environ 2,5 millions d’euros des caisses municipales et condamné en 2018 à cinq ans de prison. Emprisonné en 2017 et révoqué ensuite, il a recouvré la liberté en 2019, lui aussi à la faveur d’une grâce présidentielle.
Le président Macky Sall, élu en 2012 pour sept ans et réélu en 2019 pour cinq ans, a déclaré début juillet n’être pas candidat à la présidentielle de 2024. Il a aussi annoncé une prochaine saisie de l’Assemblée nationale pour des réformes électorales devant permettre à Karim Wade et Khalifa Sall de pouvoir se présenter au scrutin présidentiel de 2024.
La CREI avait été instituée par l’ancien président Abdou Diouf (1981-2000) en 1981. Elle est restée pendant de nombreuses années en dormance, avant d’être réactivée par Macky Sall à son arrivée au pouvoir en 2012. La juridiction a été critiquée par des défenseurs des droits humains, qui lui reprochaient notamment l’impossibilité de faire appel de ses décisions.