Deux chiffres, ces derniers jours à Kiev, donnaient la mesure de l’état d’esprit des Ukrainiens : 500 et 87. Le premier correspond à la durée de la guerre totale déclenchée par la Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022 : les cinq cents jours ont été atteints samedi 8 juillet. Le second est le pourcentage de la population qui se dit optimiste à propos de l’avenir du pays : 87 %.
Cela peut paraître contre-intuitif… et ça l’est. Comment peut-on être optimiste lorsque depuis cinq cents jours le pays subit une destruction systématique, lorsque des corbillards ne cessent d’emporter au cimetière des gens aveuglément arrachés à la vie, lorsque huit millions de ses concitoyens ont dû fuir à l’étranger, lorsque l’écran, dans le train, entre deux images de tenues folkloriques, diffuse celles de la rééducation de jeunes soldats amputés des deux jambes ? La première raison avancée par les personnes interrogées par l’Institut international de sociologie de Kiev est simple : « la victoire ».
Les Ukrainiens croient donc toujours dur comme fer à la victoire, mais ils savent aussi que celle-ci prendra du temps. « Nous devons comprendre que le chemin vers la chose la plus importante, notre victoire, est difficile, a averti le président, Volodymyr Zelensky, devant le Parlement, le 28 juin. Et personne ne peut dire quand nous l’atteindrons. » L’insouciante apparence des terrasses de café de Kiev est trompeuse. La capitale est loin du front, mais la guerre présente dans tous les esprits. « Si les femmes s’habillent si bien, dit Yuliya Magdych, designer de robes brodées, c’est pour ne pas sombrer dans la dépression. » La santé mentale, c’est l’éléphant dans la pièce : on en parle peu mais tout le monde est conscient du problème. Selon le même sondage, 78 % des Ukrainiens ont un proche ou un ami qui a été tué ou blessé à la guerre.
Pas d’insouciance en revanche, ni feinte ni réelle, dans les bâtiments gouvernementaux aux couloirs plongés dans l’obscurité, toujours protégés par des sacs de sable. Là, des ministres et de hauts responsables, rencontrés début juillet avec un groupe d’experts du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), un cercle de réflexion, ne cherchent pas à dissimuler leurs frustrations. L’un d’eux semble avoir pris dix ans depuis la dernière fois que je l’ai vu, en septembre. Un autre a troqué son côté jovial pour une rage contenue. Tous, préférant rester anonymes pour s’exprimer plus librement, portent le poids de dix-sept mois d’une invasion dévastatrice et d’une résistance compliquée à organiser dans la durée, malgré le soutien populaire.
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