Il y a quinze ans, au sommet de l’OTAN d’avril 2008 à Bucarest, l’Allemagne et la France faisaient échouer une tentative des Etats-Unis d’ouvrir la voie à une adhésion formelle de l’Ukraine et de la Géorgie. La bataille, menée par la chancelière Angela Merkel contre le souhait du président George W. Bush, fut homérique. Elle se solda par un compromis boiteux qu’un responsable ukrainien résuma par cette formule : « La porte était ouverte mais on n’était pas invités. »
Berlin et Paris voulaient éviter de provoquer la Russie. En fait, Vladimir Poutine comprit que l’Alliance atlantique était divisée et interpréta le compromis de Bucarest comme un signe de faiblesse. Quatre mois plus tard, il envahissait la Géorgie. Six ans plus tard, il annexait la Crimée et occupait une partie du Donbass ukrainien. Quatorze ans plus tard, il envahissait l’Ukraine.
C’est donc le président d’un pays en guerre, Volodymyr Zelensky, dans sa désormais familière tenue kaki, qui participera mercredi 12 juillet au deuxième jour de discussions des leaders des trente et un Etats membres de l’OTAN, réunis à Vilnius. Le moment est historique : ce sera le premier sommet de la Finlande, qui vient de rejoindre l’OTAN pour les raisons précises qui incitent l’Ukraine à vouloir y adhérer. La Suède, en revanche, est bloquée dans la salle d’attente par le président turc, Recep Tayyip Erdogan. A la veille du sommet, les alliés étaient encore divisés sur le sort à réserver à l’Ukraine.
Soutien militaire occidental
Paradoxalement, cette fois, ce n’est plus Berlin et Paris contre Washington, les Baltes et la Pologne, c’est Washington et Berlin contre la Pologne, les Baltes et Paris. La France a en effet opéré un changement de pied spectaculaire ces dernières semaines pour se rapprocher des pays du flanc oriental de l’OTAN favorables à une future adhésion de l’Ukraine, alors que l’Allemagne se range derrière la position américaine. Celle-ci a été résumée par le président Joe Biden samedi sur la chaîne CNN : pour Washington, l’Ukraine n’est pas encore prête à rejoindre l’Alliance. En attendant, une assistance militaire du type de celle que les Etats-Unis procurent à Israël peut être une garantie suffisante pour assurer sa sécurité.
Techniquement, l’argument se défend. Les dirigeants ukrainiens ont parfaitement compris que leur pays ne peut intégrer l’OTAN tant qu’il est en guerre, car cette adhésion entraînerait automatiquement l’activation de l’article 5 sur la défense collective et ferait basculer l’Alliance dans la guerre contre la Russie. Ils savent aussi que, sans l’assistance militaire que leur fournissent la plupart des pays membres de l’OTAN, leurs troupes ne pourraient pas résister à l’agression russe. Kiev ne demande donc pas à intégrer l’OTAN maintenant et se félicite que le soutien militaire occidental puisse être garanti de manière plus formelle.
Mais Israël a l’arme nucléaire et n’est pas candidat à l’OTAN. Ce que souhaite Kiev n’est pas d’ordre technique mais politique. Echaudé par les multiples engagements diplomatiques non tenus, Kiev attend du sommet de Vilnius une invitation politique à rejoindre l’Alliance occidentale, assortie d’une feuille de route sur les étapes à suivre. Toute autre demi-mesure ferait le jeu de Moscou et serait vécue en Ukraine comme une immense déception. Cette attente est légitime. Le compromis de Bucarest était une erreur, que l’Ukraine et la Géorgie ont payée très cher. Le moment est venu de la réparer, dans l’intérêt de toute l’Europe. Ce doit être la mission du sommet de Vilnius.