
Après cinq heures de mer, Yannick pose finalement pied sur la terre ferme. Mais du mauvais côté de la Méditerranée. Ce Camerounais de 30 ans a été intercepté, jeudi 6 juillet, avec des dizaines d’autres migrants subsahariens, par les gardes-côtes tunisiens au large d’Ellouza, un petit village de pêcheurs à 40 km au nord de Sfax. Envolés les 2 500 dinars (800 euros) que lui a coûté la traversée vers Lampedusa (Italie).
Sur la plage, une unité de la garde nationale est déjà en poste pour les accueillir. Les agents tentent de contenir les quelques villageois, curieux, venus assister au débarquement. Hommes, femmes, enfants et nourrissons sont contraints de quitter leur bateau de fortune, devant des spectateurs désormais habitués à ces scènes et face à une police sur les nerfs. Un gendarme, tendu, prend son téléphone pour demander des renforts. « Vous nous laissez seuls, personne n’est arrivé », reproche-t-il à son interlocuteur. « C’est tous les jours comme ça, plusieurs fois par jour », maugrée-t-il en raccrochant.
Les uns après les autres, les migrants quittent le bateau. « Venez ici ! Asseyez-vous ! Ne bougez pas ! », crient les agents des forces de l’ordre qui retirent le moteur de l’embarcation de métal et éloignent les bidons de kérosène prévus pour assurer la traversée d’environ 150 km qui séparent Ellouza de Lampedusa. Migrants subsahariens, villageois tunisiens et agents de la garde nationale se regardent en chien de faïence. Dans l’eau, le petit bateau des gardes-côtes qui a escorté les migrants surveille l’opération. La présence inattendue de journalistes sur place ne fait qu’augmenter la tension. Yannick, accompagné de son frère cadet, s’inquiète. « Est-ce qu’ils vont nous emmener dans le désert, ne les laissez pas nous emmener », supplie-t-il.
Violents affrontements
Depuis une semaine, des centaines de migrants subsahariens ont été chassés de Sfax vers une zone tampon désertique bordant la mer, près de Ras Jedir, un poste-frontière avec la Libye. D’autres ont été expulsés à la frontière algérienne. Ces opérations font suite aux journées d’extrême tension qui ont suivi la mort d’un Tunisien, lundi 3 juillet, tué dans une rixe avec des migrants subsahariens, selon le porte-parole du parquet de Sfax.
Trois hommes, de nationalité camerounaise d’après les autorités, ont été arrêtés. Dans la foulée, des quartiers de Sfax ont été le théâtre de violents affrontements. Des Tunisiens se sont regroupés pour s’attaquer aux migrants et les déloger de leur habitation. Yannick et son petit frère de 19 ans faisaient partie des expulsés. Les deux hommes ont fui la ville au milieu de la nuit, parcourant des dizaines de kilomètres à pied pour se réfugier « dans la brousse », près d’Ellouza.
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