
C’est un coin béni du Sénégal, un lieu où « la nature est généreuse », comme le répètent ses habitants. A Ziguinchor, la grande ville de Casamance (sud), l’abondance est partout : les mangues semblent pousser à l’infini et la pomme de cajou – sur laquelle la noix du même nom, ou anacarde, se développe – offre son jus à chaque coin de rue aux « jakartamen », les conducteurs de motos-taxis.
Lorsqu’elle évoque les anacardes, Noëlle Niouky se dit qu’elle a passé sa vie à les ramasser. « C’est notre or », lance cette femme de quasiment 70 ans, à l’humour cinglant et à la fierté débordante. Un bien précieux qu’elle a hérité de ses parents et qu’elle continue de cultiver sur les neuf hectares du terrain familial. « La Casamance est riche, mais elle est à genoux », regrette-t-elle. Difficile de la contredire.
C’est tout le paradoxe de cette région qu’on appelle le « Sénégal vert » : les cultures pourrissent faute d’industrie, la pauvreté touche 51 % de la population de Ziguinchor (265 000 habitants), selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), et les jeunes, qu’ils soient diplômés ou pas, n’ont que les motos-taxis pour échapper au chômage.
« L’union fait la force »
Mais Noëlle Niouky a trouvé un moyen pour tenter d’échapper à la pauvreté. Il tient en trois lettres : GIE, comme groupement d’intérêt économique. Depuis 2012, elle préside une petite structure rassemblant quinze femmes. Ces « associées » se partagent les tâches, les coûts de production, les bénéfices et les idées. « L’union fait la force, chacune d’entre nous apporte une compétence », raconte Noëlle Niouky.
Le GIE, acronyme un peu ronflant, ne signifie pas qu’elle est à la tête d’une immense compagnie, mais d’une petite société au statut pas comme les autres. « C’est une version simplifiée de l’entreprise, qui permet aux personnes vulnérables, notamment aux femmes, d’acquérir un statut social », explique Néné Aminata Thiam, responsable du pôle sud du Fonds de financement de la formation professionnelle et technique (3FPT), une institution fondée en 2014 par le gouvernement sénégalais pour doper les emplois, surtout déclarés. « C’est le premier pas pour sortir de l’informel », indique-t-elle, alors que ce secteur rassemble « neuf travailleurs sur dix et 97 % des entreprises », selon le Bureau international du travail (BIT).
Les produits fabriqués par le GIE de Noëlle Niouky, baptisé Demir (« patience », en langue mancagne), ne sont pas écoulés sur l’un des innombrables étals qu’on retrouve en ville, mais dans une boutique collée à son atelier, situé non loin de l’université Assane-Seck. Ici, tout est fait pour exploiter l’anacarde casamançais et d’autres richesses de la région. A l’intérieur – où il faut respecter des règles d’hygiène assez strictes –, la chair de la pomme de cajou est pressée pour en faire des jus en bouteille ou une huile de cuisson ; séchée pour la déguster au goûter ou à l’apéro ; broyée pour la proposer en farine. Rien n’est gâché dans ce fruit. « On peut le couper pour en faire des frites, des gâteaux, ou le cuire comme une viande, en brochettes ou en boulettes », assure Noëlle Niouky.
« Nous vivons maigrement »
Le « statut social » qu’apporte le GIE n’a rien d’anodin car, comme le décrit Sophie Diallo, directrice générale du 3FPT, « la formalisation d’un GIE donne accès à de multiples opportunités indispensables à la structuration et au développement d’une activité commerciale ». En clair, « il nous permet d’être reconnues par l’administration », note Noëlle Niouky. En effet, les GIE sont enregistrés à la chambre de commerce et ne sont pas soumis à l’impôt sur les sociétés. « Et créer un GIE est un véritable acte, car il faut débourser 100 000 francs CFA [152 euros] en timbre fiscal pour l’enregistrement du dossier », souligne Néné Aminata Thiam. « Et comme nous sommes reconnues, nous pouvons participer à des foires nationales ou à l’étranger », se réjouit Noëlle Niouky.
Le GIE permet aussi de demander un prêt à une banque ou d’aller chercher des financements et des subventions. Ainsi, au Sénégal, 522 groupements dans diverses filières (fabrication de savon, teinturerie…), dont 87 à Ziguinchor, ont été accompagnés par le 3FPT pour un montant de plus de 362 millions de francs CFA (552 000 euros) en 2022. « L’objectif est l’autonomisation des femmes, commente Sophie Diallo. En assurant le financement de ces structures, on améliore la qualité de leurs produits et services, et leurs revenus peuvent ainsi augmenter. »
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Toutefois, Noëlle Niouky et ses associées ne roulent pas sur l’or. « Nous sommes toutes modestes, comme notre chiffre d’affaires. Nous vivons maigrement », insiste-t-elle. Sa fille Evelyne, 22 ans, est chargée de développer les produits du GIE et de trouver de nouveaux marchés au Sénégal ou à l’international. « Dans notre société, il y a du travail, atteste-t-elle. Mais la jeunesse ne veut pas de ces métiers-là. »