« La question soulevée par le renoncement à l’avion se situe sur le terrain des imaginaires politiques et sociaux »

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L’aviation commence comme un sport, un loisir de dandy, et repose sur le nouvel imaginaire de la maîtrise de la nature, mais aussi sur l’antique désir de l’homme d’échapper à sa condition terrestre en se rêvant oiseau. L’imitation de ce dernier, avec les planeurs d’Otto Lilienthal (1848-1896) ou l’Eole de Clément Ader (1841-1925), n’a pas donné le résultat escompté, mais elle a préparé la grande rupture, celle du moteur thermique. Le ciel s’ouvrait à l’imagination d’une manière plus dure, plus violente, animée par le feu du moteur thermique. Après la recherche de sensation de jeunes hommes tentés par une aventure risquée, ce fut la guerre de 1914-1918 qui fit entrer l’aviation dans le monde réel de la technologie comme moyen de puissance : en 1919 a lieu le premier vol commercial Paris-Londres à bord d’un Goliath, un bombardier reconverti.

La fin de la seconde guerre mondiale consacra la transformation à l’échelle globale de l’engin militaire en engin civil. Cet objet technique si périlleux devint en quelques décennies le moyen de transport commercial le plus sûr de tous, mais en contrepartie de gigantesques infrastructures, matérielles et institutionnelles (les aéroports, le contrôle aérien, qui asservit depuis le sol l’objet volant par un guidage à distance, les instances mondiales de régulation comme l’Organisation de l’aviation civile internationale en 1947), etc. L’aéronautique civile a ainsi créé le premier macrosystème technique mondial.

Ce temps est aussi celui de la démocratisation du transport aérien (avec de gros-porteurs comme le Boeing 747, dont le premier vol remonte à 1969), et d’une exigence de sécurité qui n’est plus négociable parce qu’elle est la condition pour que le ciel et les lointains deviennent accessibles au plus grand nombre.

Echapper aux pesanteurs

Le voyage change alors de signification. De fin en soi, il devient un moyen d’aller le plus vite et le moins cher possible d’un point A à un point B. Le désir de liberté s’accompagne ainsi d’une banalisation qui neutralise la sensation de découverte. Fixé à son siège, le passager regarde le monde en spectateur, exigeant le même confort dans les airs que sur terre. Effet rebond, l’obsession sécuritaire, qui concerne le danger venu du sol, perturbe maintenant la tranquillité du voyage et transforme les aéroports, de lieux d’évasion qu’ils étaient, en nouveaux espaces d’enfermement et de contrôle.

Ce bref rappel historique laisse entrevoir que la question de la décarbonation est au fond secondaire. L’aviation commerciale est certes énergivore (3 % des émissions mondiales de CO2), mais ni plus ni moins que le transport maritime (entre 3 % et 4 % aujourd’hui et 17 % en 2050), et moins que l’industrie du numérique (déjà 4 % à 5 % avec une consommation qui devrait doubler d’ici à trois ans).

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