Le 6 juillet, la commission d’enquête du Sénat sur les pénuries de médicaments a rendu son rapport. Les auditions menées pendant cinq mois ont mis en exergue les faiblesses de l’appareil d’Etat et de ses agences en matière de politiques pharmaceutiques. Elles doivent en particulier nous conduire à nous interroger sur le déficit de moyens et de compétences dans les ministères et les agences étatiques en matière de stratégie de santé publique et industrielle, de planification des besoins et de préparation aux risques pandémiques, mais également de veille et de gestion des stocks. Il est impératif que l’Etat, qui semble avoir délaissé la maîtrise et le pilotage de ces politiques au profit des entreprises pharmaceutiques et des cabinets de conseil, en reprenne le contrôle.
En pleine première vague du Covid-19, en mars 2020, Emmanuel Macron déclarait : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. » Citant les médicaments, il faisait ainsi le constat d’une perte de compétences et de marge de manœuvre, et prônait un changement radical. Pourtant, trois ans après ces annonces, la relocalisation de la production pharmaceutique n’est pas réellement amorcée, aucun renforcement des compétences de l’Etat en la matière n’a été esquissé, et aucune production publique n’est à l’ordre du jour. Or, depuis des mois, les tensions et les ruptures de médicaments essentiels menacent notre capacité à nous soigner correctement.
Les pénuries de médicaments, phénomène structurel en augmentation depuis une quinzaine d’années, se sont intensifiées récemment en raison des tensions géopolitiques et du contexte épidémiologique, mais aussi du refus des pouvoirs publics d’imposer des obligations contraignantes à l’industrie pharmaceutique (sur la durée de stockage, par exemple). Aujourd’hui, elles sont notamment liées à une augmentation de la demande mondiale et à la hausse des prix de l’énergie, qui a un impact sur la production de matière première pharmaceutique.
Enfin, l’ultraconcentration de la production en Chine et en Inde expose l’Europe à des risques majeurs en cas de fermeture des frontières ou de tout événement affectant la chaîne de production, comme une catastrophe naturelle. L’annonce de la suspension des exportations de certains médicaments par la Chine, le 22 décembre 2022, illustre le danger, prévisible, de cette ultraconcentration et de cette dépendance.
Refus de transparence
Les choix opérés par les industriels sont guidés par des logiques et des intérêts privés. Ainsi, lorsque le prix de l’énergie augmente, certains fabricants cessent de produire des médicaments qui ne seraient plus rentables et plaident pour une augmentation des prix, encadrés par le vote du budget de l’Assurance-maladie. Pour y parvenir, les firmes refusent la transparence sur les marges réalisées par les intermédiaires et par elles-mêmes, ainsi que les aides publiques reçues.
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