Alors que le gouvernement vient de dissoudre le mouvement des Soulèvements de la Terre, il n’est pas inutile de s’interroger sur le bilan d’un demi-siècle de luttes écologiques en France. Car, en dehors des grandes victoires passées à la postérité comme l’extension avortée d’un camp militaire dans le Larzac (Aveyron) ou le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), l’essentiel des combats pour l’environnement est tombé dans l’oubli.
En 1999, le géographe Bruno Charlier en avait proposé un premier bilan dans sa thèse de doctorat, « La défense de l’environnement : entre espace et territoire ». Il était parti d’une source-clé, la revue écologiste Combat nature, fondée en 1974. Avec quelques milliers d’abonnés et tout ce que la France comptait alors d’associations pour l’environnement, elle se faisait l’écho des luttes locales ou nationales, constituant ainsi un trésor documentaire – l’histoire des « fantassins de l’environnement », comme le résumait un article du Monde. A partir d’un dépouillement exhaustif, Charlier avait identifié 1 619 mobilisations entre 1974 et 1994.
Trois secteurs se détachaient, générant plus de la moitié des conflits : le tourisme, les transports et l’énergie. Avant les centrales nucléaires, ce furent les pistes de ski, les aménagements balnéaires ou les circuits automobiles qui mobilisèrent les écologistes. Suivaient par ordre d’importance : les affaires de pollution, les carrières, les décharges et, enfin, l’agriculture industrielle (défrichage, aménagements hydrauliques, etc.).
Contrairement au cliché autosatisfait de la « prise de conscience », la mobilisation environnementale était plutôt allée en s’étiolant entre 1974 et 1994, passant de 100 conflits par an dans les années 1970 à 60 environ dans les années 1980. Selon l’auteur, l’arrivée de la gauche au pouvoir, qui avait fait surgir des espérances en matière d’écologie, avait probablement démobilisé les associations. Enfin, étant donné la part des aménagements touristiques et des barrages, c’était sans surprise sur les littoraux et les montagnes que les conflits avaient été les plus nombreux, le département du Finistère remportant la palme de la mobilisation.
Au prix de la vie
Ce chantier scientifique a été repris plus récemment dans un numéro spécial de la revue Silence paru en octobre 2022, auquel ont collaboré les universitaires Gaëlle Ronsin et Juliette Piketty-Moine et la consultante Hermine de Francqueville. Elles se sont penchées, non pas sur les luttes environnementales, mais sur les seules victoires. Sans être exhaustif, le recensement en dénombre 180. Parmi les projets abandonnés, on remarque une fois encore la forte présence du tourisme : deux stations de ski dans le parc national de la Vanoise (Savoie) en 1969, un mégacentre touristique dans les gorges du Verdon, à cheval entre les Alpes-de-Haute-Provence et le Var, ou encore, dans les années 1990, une station de ski sur une tourbière des Vosges à seulement 1 000 mètres d’altitude.
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