Encore. L’histoire semble se répéter inévitablement. Trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, Dominique Bernard, professeur de lettres, est tué par un terroriste islamiste. La dimension traumatique de l’évènement et ses répercussions illustrent bien que la société a compris qu’il ne s’agissait pas d’un simple fait divers.
En effet, ce ne sont ni le volume des passages à l’acte, ni leur fréquence qui poussent à voir un phénomène de société majeur dans ces terribles attentats. C’est un sentiment : au-delà des terroristes, il existe une partie de la population française hostile, qui ne partage pas la même vision de la société, qui va parfois jusqu’à justifier voire soutenir des actes terroristes en méprisant ce que représente la France.
Ce sentiment est étayé par quelques enquêtes : dans La tentation radicale (PUF, 2018), Olivier Galland et Anne Muxel indiquent par exemple qu’un tiers des lycéens musulmans interrogés adhèrent à des idées « absolutistes » (contre 5 % des jeunes chrétiens), plus enclins que les autres lycéens à ne pas condamner totalement les attentats qui ont visé Charlie Hebdo, en 2015. Si cette partie de la population est minoritaire, elle existe et forme une sorte de contre-société.
Guerre idéologique
Comment répondre à ce phénomène ? Tout d’abord, l’enjeu sécuritaire n’est pas à éluder. Il est naturel, comme le fait le gouvernement, de renforcer les moyens de la police et de la justice. Le ministre de l’intérieur a récemment annoncé que 43 attentats avaient été déjoués ces derniers jours : s’il est très difficile de contrer des passages à l’acte individuel, les services de l’Etat parviennent à contenir une très grande partie des menaces. Des évolutions législatives ont d’ailleurs permis d’améliorer l’efficacité de certains dispositifs comme la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement.
Cependant, les politiques publiques ne visant que l’aval ne peuvent suffire. Il existe une guerre idéologique et culturelle qu’il convient de mener non seulement contre les terroristes mais aussi contre ses soutiens plus ou moins directs. L’analyse des trajectoires d’individus radicalisés ou exprimant une sympathie pour ces derniers donne des pistes pour identifier des leviers d’actions.
Fréquentant les écoles françaises à l’image de Mohammed Mogouchkov, ils partagent une certaine conception de l’islam sunnite, d’inspiration takfiriste (pratique rigoriste particulièrement intolérante vis-à-vis des autres courants religieux). D’origines socio-culturelles modestes, parfois issus de familles déstructurées, leurs parcours scolaires sont souvent chaotiques. Un vide idéologique et culturel qui n’est pas comblé par l’école s’exprime : le religieux s’impose alors avec force à des individus en quête de sens. Après des épisodes dans la « petite délinquance » – avec des individus qui testent les limites d’une société qui ne parvient pas toujours à les fixer – la religion permet de renouer avec une forme d’estime de soi, de goût de l’effort et du travail que l’école n’est pas parvenue à transmettre.
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