Drame estival : en arrivant dans le petit village breton où nous allions passer nos vacances, nous avons appris qu’un poids lourd avait endommagé, la veille, les lignes téléphoniques. Entre mer et forêts, nous étions, ô douleur, sans réseau. Heureusement, aux abords d’une
petite église, en surplomb, il était encore possible de communiquer avec le monde extérieur. Celle que nous avons alors appelée la « chapelle téléphonique » se para ainsi d’une sacralité nouvelle. Nos pèlerinages y étaient incessants, à la hauteur de notre bigoterie numérique.
Dans le vieil enclos paroissial, je consultais frénétiquement mon téléphone. Puis j’allais ensuite, en cet été caniculaire, profiter de la fraîcheur de la chapelle frigorifique. Au-dessus de la nef, des maquettes de bateaux étaient suspendues. En hauteur, dans une alcôve derrière l’autel, il y avait un étrange retable du XVIIe siècle, mi-diorama, mi-chambre d’exposition Ikea : sous les draps d’un grand lit recouvert de dentelle véritable, on discernait les têtes de Marie et de Jésus. Le tout dans une esthétique Bonne nuit les petits. Mon cœur se gonflait de bonheur devant ces marques de dévotion kitsch. Je n’avais alors pas compris que j’avais en face de moi quelque chose d’exceptionnel.
C’est du moins ce que m’a révélé la lecture du Chemin des vierges enceintes (Chandeigne, 2022), de Jean-Yves Loude et Viviane Lièvre. Donner à voir une vierge gravide ou parturiente fut en effet condamné par le concile de Trente, actif entre 1545 et 1563. On considéra qu’il était inconvenant de montrer Marie « en couches » : elle avait été « exemptée de la faute d’Eve, du péché originel et de toute impureté » (l’Immaculée Conception) et ne pouvait donc pas « connaître la souffrance de l’accouchement ». La doctrine de la « conception virginale » participa aussi de l’interdit : déjà à la fin du VIe siècle, le pape Grégoire Ier avait décrété que Marie avait accouché « la vulve non ouverte » et « l’utérus clos ».
Place des femmes dans l’Eglise
Il reste peu de manifestations de cette piété obstétricale en France. Il y en a davantage au Portugal et en Espagne, où les deux auteurs du livre partent à la recherche des vierges enceintes. Au gré des rencontres, des églises et des statues, ils élaborent une réflexion sensible sur la place des femmes dans l’Eglise. Et exhument ces doux mots d’Odon, prieur de Cluny (Saône-et-Loire) au Xe siècle : « La beauté physique des femmes ne va pas au-delà de la peau. Si les hommes voyaient ce qui est sous la peau, la vue des femmes leur soulèverait le cœur. Alors que nous ne pouvons pas toucher du bout des doigts un crachat ou de la crotte, comment pouvons-nous désirer embrasser ce sac de fiente ? »
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