Lucie Branco, un combat gravé dans la pierre

0 Shares
0
0
0

L’affiche trône en majesté, dans le hall de la maison des Compagnons du devoir et du tour de France de Paris, derrière l’Hôtel de ville. Depuis 2021, elle accueille les centaines d’apprentis venus apprendre le geste juste. Ici, la mémoire compte. En une vingtaine de dates et dix photos, la frise raconte les quatre-vingts ans d’histoire de cette association, créée en 1941, mais héritière de la tradition millénaire du compagnonnage. « Et là, c’est moi, la grande au milieu », indique Lucie Branco. Sur l’image, elles sont trois, visiblement impressionnées. « Première adoption de femmes en 2004 à Troyes », dit sobrement la légende. Ce jour-là, une charpentière, une menuisière et elle, tailleuse de pierre de son état, font tomber la Bastille en mettant fin au monopole masculin sur cette confrérie. Trois ans plus tard, celle que tout le monde nomme « Flamande » – les compagnons prennent le nom de leur terre d’origine – sera la première femme officiellement « reçue », ultime étape du long chemin d’initiation. « Plutôt un chemin de croix », corrige-t-elle.

Dans l’atelier de taille de pierre dans la maison des Compagnons du devoir, à Paris, le 23 mai 2023.

Il n’est jamais facile d’être une pionnière. Pour tenir contre les quolibets, répliquer aux insultes, contourner les obstacles, résister aux agressions, audace et confiance semblent des conditions nécessaires. « Or, j’étais tout le contraire, une enfant effacée, une ado paumée, une jeune fille incapable d’assumer sa féminité », résume-t-elle. Dans la famille Branco, c’est sa jumelle, Karine, qui capte la lumière. Plus casse-cou, plus extravertie, meilleure élève. « Moi, je restais dans l’ombre », dit-elle. Elle s’est rêvée médecin ou sage-femme. A déchanté en découvrant que la filière sciences médico-sociales dans laquelle elle s’est laissé orienter lui interdit ces carrières. Alors elle se cherche, plus épanouie dans les bars du Vieux-Lille que devant ses cahiers.

C’est dans l’un d’eux, La Pirogue, que sa vie bascule. « Le bar était blindé. Et quatre jeunes sont entrés. On a commencé à parler. Et ça a pris, comme la chaux dans le ciment. Ils dégageaient un bien-être incroyable. Moi j’avais l’impression d’éveiller enfin l’intérêt. La léthargie que je ressentais a disparu. » « Elle a eu un coup de foudre », résume sa sœur, décoratrice de films.

« Tous les sens mobilisés »

La découverte, quelques semaines plus tard, de la maison des Compagnons de Villeneuve-d’Ascq (Nord) achève de la convertir. Chaudronnerie, charpente, tapisserie, des mondes inconnus s’étalent sous ses yeux. La « renardière » où s’active Jean – alias Arthésien –, les moulures gothiques de son « chef-d’œuvre », la poussière blanche de la pierre de Lens l’orientent vers la taille. « Tous vos sens sont mobilisés. La vue et le toucher, bien sûr, l’ouïe quand vous tapez à la masselotte, mais aussi l’odorat. “J’ai goûté le jus de la pierre”, dit même une de nos chansons. J’ai tout aimé dans la taille. Mais en vérité, j’aurais pu faire n’importe quel autre métier, c’est le compagnonnage qui m’a séduite. »

Il vous reste 62.5% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

source

0 Shares
Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

You May Also Like