De l’extérieur, la bâtisse semble abandonnée mais, sitôt passé le seuil, le couloir sent la cigarette, le gel douche et la pharmacie. Un médecin s’étire dans le bruit sourd des bombardements. Cette nuit, il a dormi. Et hier, il a mangé chaud. « Tu peux le croire ? », demande-t-il à un collègue. Il ne se rappelle plus la dernière fois où ça lui était arrivé, tant de douceur d’un coup. Lumière pauvre, pièces délabrées, quelques soldats attendent sur des fauteuils branlants, leurs pansements tachés de sang et leurs mains encore noires de la terre des tranchées. Planqués au milieu des ruines, trônent un appareil de radiologie dernier cri et une banque de sang sophistiquée.
On est dans un de ces repaires secrets où l’armée ukrainienne aménage ses « points de stabilisation », les postes médicaux au plus près du front, où les militaires blessés reçoivent les premiers soins en urgence. Celui-ci se trouve en direction de Bakhmout, au Donbass, une zone de combat à l’Est parmi les plus meurtrières depuis l’invasion russe.
« Etre caché relève de la plus haute importance : nous devenons une cible prioritaire quand l’ennemi sait où nos blessés sont soignés », explique Vadim, anesthésiste dans le civil, devenu médecin chef du lieu. Volontaire dans la 3e brigade d’assaut, une unité de légende héritière du bataillon Azov, il ne compte plus les déménagements de son centre.
Quand les troupes de Moscou ont commencé leur avancée cet hiver vers Bakhmout, le « point de stabilisation » a dû reculer une première fois, en même temps que les unités ukrainiennes. Avant de quitter la ville, les médecins de la 3e brigade ont lancé une mission désespérée : récupérer les équipements de l’hôpital pour ne pas laisser les Russes s’en emparer. « On nous a pris pour des fous, mais le matériel médical est un butin aussi précieux que l’armement, même les lits nous manquent », explique Andri, dit « Corsaire », vingt-quatre ans d’expérience en phlébologie.
Début 2023, nouvelle poussée ennemie et donc nouveau déménagement du centre, en une nuit et sous les bombes. « On n’est pas tous arrivés en vie : trois d’entre nous sont morts là-bas », se souvient Oleksi, 48 ans, ancien médecin chef de l’équipe nationale junior de basket. L’équipe compte une trentaine de personnes.
Les mines à l’origine de la majorité des blessures
Sur un banc, deux hommes en chemise hawaïenne, bermuda et bob ressemblent à des touristes égarés dans la guerre. En fait, l’un est sniper, l’autre mitrailleur. Ce matin de juillet, leur mission consistait à évacuer un blessé du côté de Bakhmout. Mais seule une route étroite, longue de six kilomètres et constamment sous le feu russe, sert d’accès à leurs positions.
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