
Les deux moteurs tournent à plein régime pour permettre au petit avion de s’élever dans le ciel. Au loin, l’île italienne de Lampedusa, d’où l’appareil vient de décoller, n’est plus qu’une mince silhouette. Le Beechcraft Baron 58, affrété par l’ONG allemande Sea-Watch pour assister les opérations de sauvetage en Méditerranée centrale et surveiller cette vaste zone, est en l’air depuis quelques instants, sous le soleil matinal de ce jeudi 6 juillet, et déjà sa radio crache des communications alarmantes. « Tu vois le bateau des harraga [les migrants clandestins] ? Il est à côté de toi ? », s’enquiert un marin, dont l’arabe dialectal laisse supposer qu’il est un pêcheur tunisien. « Oui, oui, il est juste là, devant moi », lui répond immédiatement un collègue et compatriote, inquiet.
« Radio Lampedusa, Radio Lampedusa ? », interpelle alors l’un des deux hommes, sur le canal 16, la fréquence internationale de détresse. Aux autorités locales qui lui répondent, il transmet en italien les informations-clés : « un bateau en fer », « 40 personnes à bord », « l’embarcation prend l’eau », ainsi que la position GPS.
Plusieurs centaines de mètres au-dessus des flots, Samira, assise à côté du pilote, ne manque pas une seconde de cette conversation. Sur un bout de papier, la coordinatrice à bord – qui souhaite n’être identifiée que par son prénom – griffonne les coordonnées du navire. « Je voudrais qu’on aille voir », demande-t-elle. L’avion vire brutalement. Ses cinq passagers scrutent la mer à la jumelle, avant de repérer l’embarcation en détresse. A bord de cette coquille de métal partie de Tunisie, des hommes, des femmes et des enfants originaires d’Afrique subsaharienne.
Embarcations en fer
Dans ce coin de la Méditerranée, le nombre de ces bateaux a explosé cette année. « Il y a toujours eu des migrations depuis la Tunisie, mais la fréquentation de cette route a massivement augmenté », décrit Samira. « Les nationalités ont aussi changé, surtout depuis le discours du président tunisien », poursuit-elle en référence aux propos de Kaïs Saïed qui, en février, dénonçait des « hordes de migrants clandestins » dont la présence dans le pays serait, selon lui, source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables ».
Les mots du chef de l’Etat et les violences qui leur ont succédé ont poussé de nombreux Subsahariens à prendre la mer. Depuis le début de l’année, 37 000 personnes sont arrivées à Lampedusa en provenance de Tunisie, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, un chiffre en augmentation de 567 % par rapport à la même période il y a un an. La Tunisie devance désormais la Libye comme principal point de départ vers l’Europe, et ses ressortissants, qui constituèrent par le passé le premier contingent sur ce corridor, ont été supplantés par les Ivoiriens et les Guinéens, majoritaires parmi les voyageurs.
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