Festival d’Avignon : avec « Ecrire sa vie », Pauline Bayle échoue à incarner l’univers de Virginia Woolf

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« Ecrire sa vie », d’après l’œuvre de Virginia Woolf, mis en scène par Pauline Bayle, à Avignon, le 7 juillet 2023.

Il y a des phrases qui, pour les comédiens, sont des Everest impossibles à gravir. En adaptant pour le théâtre l’œuvre de Virginia Woolf, notamment l’un de ses récits phares, Les Vagues (1931), Pauline Bayle précipite sur scène une matière textuelle que sa troupe d’acteurs a bien du mal à investir. Cette metteuse en scène s’y connaît pourtant en transposition de formes littéraires. Sa précédente création, Illusions perdues (2020), restituait avec un allant formidable l’esprit et la lettre d’un récit balzacien dont elle avait su extraire le suc. Mais Ecrire sa vie se brise sur la puissance d’une écriture et d’un imaginaire qui se dérobent à l’incarnation. Difficile de faire siens des mots qui fuient le quotidien, le concret et le prosaïque pour s’attarder et s’ébattre, en longs flux poétiques et métaphoriques, au cœur de subjectivités tourmentées.

Lire la critique (en 2020) : Article réservé à nos abonnés La valse intranquille des « Illusions perdues » au Théâtre de la Bastille

Consciente de cet enjeu, Pauline Bayle tente de le contourner. Elle hybride des textes de son cru à l’univers de Virginia Woolf. Ouvre sa représentation (dans un désir de contextualisation qui ne s’imposait pas) par une salve de dialogues d’où il ressort que les personnages viennent de connaître une période de confinement. Puis elle glisse peu à peu son spectacle dans la langue, les motifs et les histoires de la romancière : un groupe d’amis depuis l’enfance attend avec impatience et joie l’arrivée de leur camarade Jacob.

Au centre d’un dispositif bifrontal, une table s’élève sur un sol de gravier blanc qui crisse sous les pieds. Les bouteilles, les corbeilles de fruits, les verres de vin sortent des mains des spectateurs assis dans l’espace de jeu (qu’ils quitteront plus tard pour rejoindre les gradins). Une chanson empruntée aux Beatles (Hey Jude) est fredonnée a cappella par toute l’assemblée présente sur les lieux pour fêter le retour du héros.

Une nature morte

Il faut souder la communauté qui a pris place au Cloître des Carmes et fabriquer, in situ, le sentiment du collectif. Même si c’est à marche forcée. Même si la fiction est aux antipodes de ce geste de mise en scène dont on se dit qu’il veut conjurer le sort. Car les six héros font, pour leur part, l’expérience de la dislocation. Projetée dans la maturité, confrontée à la mort (de Jacob), l’apprentissage de l’amour, l’âpreté du travail, la dépression, les ambitions accomplies et celles laissées sur le bord de la route, confrontée, enfin, à la guerre qui s’abat, la bande d’amis s’éparpille, expédiant chacun dans l’ontologique solitude. Ne subsiste alors qu’un centre de gravité : George (Jenna Thiam), sœur de Jacob et double de Virginia Woolf, qui prend tardivement les rênes de la fable. C’est elle, l’écrivain, elle qui, par ses mots, aura le pouvoir de reconstituer cette humanité effritée.

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