René Girard aurait eu 100 ans cette année. Ce centenaire offre une circonstance pour réfléchir à l’œuvre et à l’héritage de cette figure intellectuelle majeure du dernier demi-siècle, décédée en 2015. Alors que le philosophe Benoît Chantre lui consacrera une biographie de 1 200 pages à la rentrée (René Girard, le 13 septembre, chez Grasset), l’ingénieur et socio-économiste Bernard Perret vient de signer Violence des dieux, violence de l’homme. René Girard, notre contemporain (Seuil, 384 pages, 25 euros), essai dans lequel ce membre du comité de rédaction de la revue Esprit, déjà auteur de Penser la foi chrétienne après René Girard (Ad Solem, 2018), livre une passionnante « synthèse critique » sur une œuvre à la fois magistrale et critiquable.
Huit ans après sa disparition, quelle place occupe René Girard dans le paysage intellectuel ?
Son influence est mondiale, ce qu’on ignore en France. Il est lu et commenté sur tous les continents, particulièrement aux Etats-Unis, où s’est déroulée toute sa carrière universitaire [il s’y expatrie dès 1947 pour sa thèse, et enseigne à l’université Stanford à partir de 1981]. Il existe un réseau de chercheurs très actifs autour de son œuvre, dans différents domaines, qui vont de la psychologie mimétique à l’anthropologie religieuse, sans oublier l’ethnologie et les études littéraires.
Au regard de ce dynamisme, sa place reste discrète dans le paysage intellectuel français, où une connaissance superficielle de son œuvre l’associe vaguement aux notions de bouc émissaire et de désir mimétique. Les intellectuels d’envergure se réclamant de sa pensée – tels que Jean-Pierre Dupuy, Paul Dumouchel et Benoît Chantre – restent rares, et peu de thèses lui sont consacrées.
Sa figure est surtout mobilisée par les milieux intellectuels conservateurs, ce qui s’explique assez bien par son catholicisme décomplexé et son pessimisme apocalyptique, associés à des thèmes connotés à droite, comme l’affaiblissement des institutions et la perte des différences symboliques. Il n’y avait pourtant chez lui aucune idéalisation du passé et toute récupération politique de sa pensée est un contresens.
Je ne cherche pas non plus à me l’approprier, même si l’une des visées de mon livre est de recentrer discrètement son héritage intellectuel, en montrant pourquoi et en quoi il est incontournable, y compris pour des « progressistes ».
Son œuvre s’articule autour de l’analyse du sacré et de la culture, considérés comme des créations visant à conjurer la propension humaine à la violence. Qu’est-ce qui lui a inspiré cet angle d’approche ?
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